Seine-et-Marne: “l'inquiétude est prégnante chez les enfants de policiers“
Alors que vient de sortir un rapport de la Commission d’enquête du Sénat sur la police, un jeune a été tué lors d’un contrôle à Breil (Nantes), le 3 juillet dernier. Deux jours plus tard, un couple de policiers a été agressé à Othis (Seine-et-Marne), en dehors de son service. Autant de faits qui interrogent sur une profession en plein burn-out.
Les policiers vont mal. Le rapport de la Commission d’enquête du Sénat, "Vaincre le malaise des forces de sécurité intérieure: une exigence républicaine" publié le 3 juillet le prouve. Il pointe notamment un taux de suicide supérieur de 36% à celui de la population générale, des conditions matérielles difficiles, une pression sécuritaire inédite et le sentiment d’être "sans cesse montrés du doigt, mis en cause et stigmatisés". Or, cette semaine, les policiers ont été au cœur de l’actualité avec la mort d’un jeune de 22 ans au Breil à Nantes lors d’un contrôle d’identité et l’agression d’un couple de policiers à Othis, en Seine-et-Marne. Deux événements bien distincts qui, à la lumière du rapport de la Commission d’enquête du Sénat, interrogent sur l’état des forces de sécurité intérieure françaises. Jean-Marie Godard, journaliste indépendant et auteur de "Paroles de flics" chez Fayard, auditionné par la Commission d’enquête du Sénat en amont de la publication du rapport, décrypte pour La Vie ces deux derniers événements.
Un couple de policiers a été agressé en Seine-et-Marne devant leur enfant de trois ans. Cet événement peut-il renforcer les inquiétudes des policiers sur la sécurité de leur famille?
Beaucoup d’entre eux ont intégré le risque de mourir dans l’exercice de leur fonction. Mais réaliser que des personnes pourraient s’en prendre à des membres de leur famille est une éventualité très difficile à gérer. Cela leur demande d’être constamment sur le qui-vive. Je pense notamment à ce policier qui a mis récemment en place un "code secret" pour communiquer avec ses enfants et sa femme en cas de rencontre dans un centre commercial ou dans la rue d’une personne interpellée ces derniers mois. J’ai rencontré également plusieurs policiers qui, pour protéger leurs enfants, leur ont demandé de taire la profession de leur parent à l’école et ce, dès la maternelle et l’élémentaire. Enfin, beaucoup gardent 24h/24h avec eux leur arme de service. Une façon pour eux de protéger leur vie ou celle de leur famille si une attaque devait brutalement survenir.
Comment les familles gèrent-elles cette inquiétude permanente, en particulier les enfants?
A chaque fois que les compagnons, les compagnes et les enfants apprennent qu’un policier est tué ou agressé, ils sont fortement choqués. Une femme m’a raconté comment elle était restée sidérée devant sa TV le soir de l’assassinat de Xavier Jugelé sur les Champs-Elysées. Elle n’avait alors pas réalisé que derrière elle, son fils de 6 ans regardait toutes les images. Pendant plusieurs semaines, le petit a été perturbé. Il s’est dit: " Cela aurait pu être Papa". En passant du temps dans les familles de policiers, j’ai mesuré à quel point l’inquiétude est prégnante chez les enfants, notamment le matin, quand les parents partent au travail.
L’onde de choc de l’attentat du couple de Magnanville, en juin 2016, est donc toujours vive ...
Cet événement a généré un immense traumatisme chez les policiers, surtout ceux qui ont moins de 40 ans et ont des enfants en bas âge. Même si l’agression des policiers de Seine-et-Marne de la nuit dernière, le 5 juillet, ne se situe pas sur un registre terroriste – l’auteur est un dealer, elle ravive les peurs: Le couple a été attaqué en dehors de son service et face à son enfant. Ajoutons que ce type d’agressions semble se répéter. Pas plus tard que la nuit du 30 juin dernier, dans l’Ain, un policier des frontières a été tabassé chez lui, dans son jardin, par six jeunes qui avaient reconnu qu’il était flic.
Les agressions dont les policiers sont victimes ont-elles un impact sur leur façon d’utiliser leur arme de service comme cela a été le cas à Nantes, le 3 juillet dernier?
Les faits qui se sont déroulés dans le quartier du Breil sont difficiles à analyser car les versions divergent et sont très médiatisées. L’enquête est en cours et c’est elle qui révélera les conditions de la mort de ce jeune. En attendant, l’Inspection générale de la police nationale (IPGN) n’a pas pour l’instant signalé de hausse des bavures. La part des opérations policières qui dérapent reste donc aujourd’hui infime. De mon côté, j’ai toujours rencontré des policiers très conscients du risque très grave d’un manquement aux règles d’utilisation de leur arme de service. Pour beaucoup, savoir qu’ils ont entre les mains la possibilité de donner la mort est difficile à vivre.
Othis, en Seine-et-Marne et le Breil à Nantes sont toutes deux des banlieues. Or, selon le rapport de la Commission d’enquête du Sénat, c’est en banlieue que les policiers sont le plus en difficulté...
Il faut savoir que 90% des policiers qui sortent d’école sont envoyés en banlieue pour leur première mission. Or, beaucoup ne sont pas préparés à un tel choc et craquent face à cette première confrontation. Ajouté à cela, la difficulté pour eux de se loger. Le rapport de la Commission d’enquête du Sénat a mis à jour des failles dans les offres de logements locatifs proposées par le ministère de l’Intérieur aux jeunes affectés en Île-de-France (sur 145.000 policiers en France, 50.000 policiers sont actuellement à Paris et en région parisienne). J’ai été étonné de voir à quel point l’audit des conditions de logement est catastrophique. Par manque de logements, certains policiers sont contraints de dormir dans leur voiture.
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