Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Envie de pleurer, en lisant cela

Insécurité explosive, envolée de la dette, services publics exsangues… La France vit-elle un déclin accéléré?

ANALYSE. Ces derniers mois, les indicateurs déjà rouges passent à l'écarlate dans presque tous les domaines: sécurité, éducation, justice, santé, logement… Pour y répondre, l’État à la manœuvre vient après quatre mois d’errance de se doter d’une direction politique plus fragile que jamais.

Par Quentin Hoster de Valeurs Actuelles

Cela fait bien longtemps que la France est entrée "dans le toboggan". Depuis 1981 d’ailleurs, si l’on en croit Franz-Olivier Giesbert, qui dans Tragédie Française accuse François Mitterrand de l’y avoir précipitée. Et plus la descente approche de sa fin, plus elle est rapide.

Désormais, le déclin du pays crève non seulement les yeux, mais aussi des plafonds. Économie, sécurité, climat social: les indicateurs, objectifs, de la descente aux enfers, tournent ces derniers mois au rouge écarlate, dans presque tous les domaines. Les crises ne se succèdent plus, elles éclatent en même temps. Sitôt nommé, le gouvernement de Michel Barnier va devoir éteindre, avec de faibles moyens politiques et budgétaires, là des incendies déjà déclarés, ici d’autres qui couvent.

LES OUTRE MER, BOMBE A RETARDEMENT

Sur le feu, la marmite des Outre mer d’abord, dont la température ne cesse de grimper. Depuis les émeutes qui ont ravagé la Nouvelle Calédonie au printemps, point d’amélioration. Cinq mois de troubles, 13 morts et 2,2 milliards d’euros de dégâts matériels: la facture est salée pour l’archipel, qui s’est retrouvé amputé d’un quart de son PIB, après qu’un tiers des salariés du secteur privé y ont perdu leur emploi.

A ce jour, 6000 travailleurs ont déjà plié bagage. En Martinique, l’explosion du coût de la vie, incomparable avec celle vécue en métropole, crée des troubles difficiles à contenir pour les forces de l’ordre locales, qui viennent de recevoir l’appui de la CRS8.

Depuis le 18 septembre, des pans entiers de Fort-de-France sont placés sous couvre-feu, alors que l’on dénombre, à ce stade, 44 véhicules brûlés, 35 locaux commerciaux privés vandalisés, et 11 fonctionnaires de police blessés par balle, selon le préfet.

En Guadeloupe, des violences se font aussi jour pour les mêmes motifs, entre barricades enflammées sur les routes et radars vandalisés. Sans compter les revendications salariales des agents d’EDF: la moitié de l’île est régulièrement privée d’électricité depuis l’entame d’un mouvement de grève.

En Guyane, où le climat reste fébrile, sur le front de l’orpaillage illégal, on apprend qu’en 2023, le nombre d’armes à feu en circulation augmentait de 65% par rapport à l’année précédente à Saint-Laurent-du-Maroni, deuxième ville de bout de France coincé en Amérique du Sud.

Au large, la présence de navires clandestins dans les eaux territoriales françaises, pillant leurs ressources, a doublé depuis douze ans, selon un récent rapport. A Mayotte, en plus des tensions ethniques entre autochtones et comoriens, une épidémie de coqueluche vient de se déclarer, alors que celle de choléra vient d’être éradiquée.

INSECURITE, ANTISEMITISME ET IMMIGRATION EXPLOSENT

Au global, le climat d’insécurité dont hérite Bruno Retailleau à l’Intérieur poursuit son aggravation. La plupart des indicateurs annuels de la criminalité, publiés par Beauvau, demeurent à la hausse, non seulement au cours des dernières années, mais aussi par rapport à 2022: homicides (+4%), tentatives d’homicides (+12%), violences sexuelles (+8%), coups et blessures volontaires (+5%), cambriolages (+3%), tandis que les vols violents (-7%) et les vols sans violences (-3%) diminuent.

Tendances lourdes de sens: les tentatives d’homicide ont bondi de 78% entre 2016 et 2023 – sachant que nombre d’entre elles sont considérées comme des "coups et blessures", ce qui allège la statistique – tandis que les homicides ont augmenté de 17% sur la même période.

Au nombre de 63 par jour, les refus d’obtempérer, qui agitent régulièrement l’actualité, sont en baisse, au contraire de la part des refus dits "aggravés", passée de 16% en 2016 à 21% en 2023.

Autre évolution significative, celle des coups et blessures: multipliée par 5 entre 1996 et 2023, la catégorie infractionnelle a connu une récente progression, la plus forte enregistrée en Europe, de 47% entre 2017 et 2021, selon l’analyste Marc Vanguard. Quant aux violences liées aux trafics de drogue, qui émaillent de plus en plus l’actualité, il n’existe pas de tableau de bord. La flambée des actes antisémites, elle, se confirme dans les chiffres: +74% enregistrés sur les six premiers mois de cette année, par rapport à 2023, où le CRIF parlait d’une explosion de 1000%.

Donnée à l’évidence corrélée, qui bat elle aussi des records, celle des flux migratoires entrants légaux. En 2023, 323 000 titres de séjour ont été délivrés.

Pour noircir le tableau, le mur de la dette, si souvent annoncé mais jamais vu, serait "juste devant nous", à en croire l’éminent spécialiste des finances publiques, Charles de Courson.

Le montant de ses intérêts annuels de remboursement s’envole de manière incontrôlée. De 39 milliards d’euros en 2023, il est passé cette année à 46,3 milliards, et devrait atteindre les 72,3 milliards en 2027.

A titre de comparaison, le budget de la Justice en 2024 est de 10,1 milliards d’euros. Les recettes de l’impôt sur les sociétés? 82,71 milliards.

Autrement dit, à ce train-là, les entreprises ne travailleront bientôt plus pour abonder le système de redistribution, mais pour payer les créanciers (pour moitié étrangers) de la France !

Antoine Armand, qui succède à Bruno Le Maire à Bercy, peut se dire "fier d’hériter d’un tel bilan". L’ex ministre de l’Economie et des Finances a fait déraper le déficit à 5,6% du PIB, qui pourrait plutôt atteindre les 6,2% l’an prochain, bien au-delà de prévisions dont l’optimisme interroge.

Quasiment du jamais vu, (hors Covid), depuis la crise des subprimes, déclenchée en 2007. Le navire de Bercy coule, de manière là aussi accélérée. L’an dernier, la seule embauche de 59 000 fonctionnaires supplémentaires (sans accroissement visible de la qualité des services publics), a représenté un surcoût de 14 milliards pour les finances publiques, déjà exsangues. Résultat du formidable bilan de Bruno Le Maire, dont le soutien vanté à l’activité économique se fait bien faiblement ressentir: le risque de pauvreté a bondi, sous son magistère, de 17%, plus forte progression là encore en UE.

PENURIE DE MAIN D’ŒUVRE ET DE CERVEAUX, EFFONDREMENT EDUCATIF…

La faiblesse de l’économie française, malgré une ré-industrialisation en trompe-l’œil et une attractivité réelle, est à mettre en perspective avec les pénuries croissantes de main d’œuvre. Cette année, 25 500 postes sont vacants dans le secteur informatique, ils devraient être 180 000 dans six ans.

Dans le commerce, 11,6% des besoins en recrutement restent à combler, c’est 9,3% dans l’industrie selon France Travail. Sans parler des pénuries endémiques dans la justice (greffiers, magistrats), la santé (infirmiers, médecins généralistes, urgences fermées à un rythme inédit cet été) ou l’éducation: on enregistre 40 000 démissions d’enseignants en 2022 contre 31 000 deux ans plus tôt. L’an dernier, 3000 postes de professeurs restaient à pourvoir.

Même les maires, exposés à 44% d’agressions supplémentaires en deux ans, sont confrontés à la crise des vocations: ils étaient 30% de plus à démissionner en 2023 qu’en 2020, d’après le Cevipof.

Et tout porte à croire que cette carence en cerveaux ne se résoudra pas de si peu. Le nombre d’admis en Bac scientifique a été divisé par deux en seulement deux ans, conséquence directe de la réforme du Bac de Jean-Michel Blanquer.

Les admissions en écoles d’ingénieurs, pour la rentrée 2023/2024 ont chuté de 11,5% à cause de la réforme du DUT (diplôme universitaire de technologie), qui rallonge la durée des études à trois ans et fait mécaniquement entrer les diplômés plus tard sur le marché du travail.

La dernière étude PISA, enfin, enfonce le clou dans le cercueil de l’Education Nationale et de l’Enseignement Supérieur. En maths, la France a perdu 37 points en 19 ans, pour la couler en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE. Le nombre de fautes d’orthographe a presque doublé en trente ans, tandis que la dépense par élève a explosé: +115% en 40 ans dans l’enseignement primaire, +65% au collège et au lycée. Cherchez l’erreur!

LOGEMENT, TRANSPORTS: SUITE ET PAS FIN

Même sortis d’études, les jeunes Français ne sont pas mieux lotis. La pénurie de logements, principalement liée aux nouvelles contraintes de construction et de location, accélère. Le nombre d’appartements à louer a ainsi reculé de 36% entre 2021 et 2023, selon une étude du site Se Loger, c’est 74% à Paris.

Le réseau immobilier Guy Hoquet estime lui que dans certaines régions, l’offre locative a baissé de 34%, quand la demande augmentait de 66%.

Et s’ils veulent se mouvoir dans leur pays, ou même à l’étranger, les Français, là aussi, devront faire preuve de patience!

30% des vols moyen et long-courriers ont connu des retards en 2022. Pour les TGV, c’est 15%: le taux le plus élevé des dix dernières années selon l’Autorité de la qualité de service dans les transports (AQST).

Le passage en revue des signes vitaux de la France pourrait être encore long, comme nous le rappellent les agriculteurs (dont les revenus baissent aussi continûment). Leurs représentants menacent de bloquer à nouveau les routes dans les prochaines semaines, puisqu’ils ne s’estiment pas plus entendus depuis leur poussée d’urticaire, en début d’année.

 

Le déclin du pays, si tant est qu’il soit objectivable, est ancien et structurel. Mais il connaît des poussées conjoncturelles inquiétantes. Et le contraste, entre le spectacle politique et l’iceberg des maux français, dont émerge, de temps à autre, les sommets les plus saillants, est saisissant.

Au Chesnay, le 18 septembre dernier, un multirécidiviste renversait délibérément un policier municipal pour échapper à un contrôle. Les images, choquantes et pourtant si rébarbatives, après celles de la mort du gendarme Eric Comyn, dans les Alpes-Maritimes, paraissent alors en décalage avec la "séquence" politique.

Au même moment, le Premier ministre, lui-même recruté après des semaines de tractations, recherche à son tour de quoi composer un gouvernement, tandis que les ambitieux de droite et du centre lui compliquent la tâche.

Quatre jours plus tôt, sur les Champs-Elysées, Emmanuel Macron sautillait, de manière étrange, au milieu des athlètes paralympiques acclamés pour leurs performances. Le président assistait quelques jours plus tard à l’ouverture d’un arboretum. Ainsi est-il réduit, privé de majorité, à inaugurer les chrysanthèmes, participer aux parades, exister par son domaine réservé, avec, là encore, quelles avancées…

Un président impuissant, un Parlement a priori ingouvernable, un pays en décapilotade sur lequel les politiques n’ont, à l’évidence, plus véritablement prise: ainsi va la France, qui n’est peut-être finalement pas un volcan, puisque l’éruption y est permanente.

L’écrivain algérien Boualem Sansal, depuis peu naturalisé Français, a bien résumé le tableau: "C’est un pays à la ramasse qui vit sur des gloires passées. Désolé de le dire comme ça, mais la thérapie du choc l’exige".

La descente, dans un toboggan, a pourtant toujours une fin.

Les commentaires sont fermés.