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Les journalopes de CNews

Surcharge de travail et pression, le quotidien que nous ont décrit les journalistes de CNews est loin de faire rêver. Le retour d’Éric Zemmour le 14 octobre dernier sur la chaîne d’info aurait pu être le catalyseur d’un mouvement social semblable à la mobilisation suscitée par l’arrivée de Jean-Marc Morandini en 2016. Pour l’heure, il n’en est rien.

Plusieurs journalistes de CNews ont accepté de nous expliquer pourquoi la grève était inenvisageable, voire impossible dans cette entreprise qui pratique, selon l’un d’entre eux, “le management par la peur”. D’ailleurs, la plupart des personnes interrogées ont réclamé l’anonymat par peur de représailles.

“Un pigiste, il ferme sa gueule et il travaille!”

Si une nouvelle grève semble impossible aujourd’hui selon les salariés, c’est d’abord en raison de la structure actuelle de la rédaction. Celle-ci est composée pour une grande partie d’alternants et surtout de pigistes, des journalistes payés à la journée et qui peuvent à tout moment ne plus être rappelés. Un statut précaire qui ne leur permet pas d’élever la voix, de peur de perdre leur travail.

“Quand tu es pigiste, il y a des choses que tu ne peux pas faire”, confie un journaliste qui partage ses semaines entre plusieurs chaînes d’informations en continu. “Si tu fais grève, tu es remplacé au planning et tu es blacklisté, donc je ne prendrais pas ce risque. C’est tellement précaire que tu n’as pas de moyen de pression, notre voix ne compte pas. On compte sur nos chefs pour faire remonter nos craintes.”

Les craintes sont d’ailleurs bien réelles depuis le retour de Zemmour à l’antenne. Le sujet est régulièrement évoqué en interne. “Évidemment, on est tous outrés, on en parle entre nous et on est nombreux à ne pas être fier de ce qui se passe à CNews aujourd’hui”, poursuit un autre pigiste. “Je n’ai jamais entendu une personne me dire dans la rédaction que c’était une bonne chose la venue de Zemmour, mais notre voix n’est pas entendue car un pigiste il ferme sa gueule et il travaille” (sic).

Le spectre de la grève d’iTélé en toile de fond

En 2016, la rédaction avait fait front commun contre l’arrivée de Jean-Marc Morandini. Le présentateur avait été mis en examen pour “corruption de mineurs aggravée” après avoir organisé des castings dénudés et formulé des propositions sexuelles à de jeunes acteurs lors du tournage d’une websérie.

La plus longue grève dans l’histoire de l’audiovisuel privé s’était soldée par un échec cuisant pour les salariés. Les 31 jours de mobilisation n’avaient pas permis de faire fléchir la direction “droite dans ses bottes”, qui a finalement su imposer Jean-Marc Morandini à l’antenne. Un mouvement qui avait fragilisé la chaîne, en perte de vitesse face à la concurrence. La chaîne d’information, qui avait dépassé les 1% de part d’audience quotidienne avant la grève, n’a depuis jamais réussi à reproduire de pareils scores.

L’accord de sortie de grève prévoyait le remplacement de chaque journaliste ayant quitté la rédaction, mais la réalité est bien différente. Dans la rédaction, une aile entière de l’open-space est aujourd’hui désespérément vide et la poussière s’accumule sur ces anciens bureaux des services international et politique. Aucun salarié n’a été installé dans cet espace fantôme, comme si la direction voulait laisser volontairement à la vue de tous les stigmates de la grève.

“On subit encore aujourd’hui la grève de 2016, et les anciens qui ont connu cet épisode sont conscients que ça a pu affaiblir la rédaction”, confie une pigiste. “On sait très bien qu’une autre grève peut être fatale à la chaîne. La raison nous dit de faire grève mais notre conscience nous dit de ne pas le faire pour ne pas fragiliser encore la chaîne”. Un nouveau bras de fer avec la direction ne semble pas aujourd’hui d’actualité, tant cette dernière est redoutée en interne.

Serge Nedjar et “le management par la peur”

Serge Nedjar à la tête de la chaîne est régulièrement pointé du doigt pour son management considéré comme très agressif par les salariés. “L’élément majeur c’est l’autoritarisme dont fait preuve cette direction et notamment Serge Nedjar”, explique une source syndicale. “En 2016, le bras de fer avec la direction avait démontré que Nedjar avait le soutien total de Vincent Bolloré et ne rendrait des comptes uniquement qu’à l’actionnaire. Si la rédaction de l’époque était toujours en grève aujourd’hui, la direction n’aurait toujours pas lâché!”

Une direction ferme qui ne laisse pas de place au dialogue. “Nedjar c’est un serial-killer,” poursuit un autre journaliste qui connaît le patron de la chaîne depuis plusieurs années. “Il intervient en conférence de rédaction, il est tranchant et peut être terrible, c’est son seul moyen de défense. Il ne fait pas dans le compromis et le convaincre de changer d’idée est illusoire.”

“Se battre contre Zemmour c’est se battre contre son propre camp”

Pour beaucoup, la grève de 2016 aurait en quelque sorte vacciné les anciens salariés qui envisageraient de lancer un nouveau mouvement de protestation. “En 2016, la direction a voulu remettre au pas la rédaction avec un management par la peur et le signal envoyé à ceux qui sont restés dans la réaction a été bien reçu: ça restera comme ça et il n’y a pas d’espoir de changer les choses, c’est marche ou crève. Soit vous adhérez au projet, soit vous partez!”, confie une autre source syndicale. “Ça ne se traduit pas forcément par des menaces mais c’est une atmosphère tendue en permanence. Dans le cas de Zemmour, la direction à bien fait comprendre à ses salariés qu’aujourd’hui se battre contre Zemmour c’était se battre contre le groupe, se battre contre son propre camp.”

Laurent D’auria, délégué syndical de ”+ Libres”, évoque un autre point qui selon lui rend difficile une nouvelle grève après l’arrivée d’Eric Zemmour: “Il n’y a plus de leaders dans cette rédaction, c’est l’omerta et chacun ne pense plus qu’à soi” explique-t-il, tout en décrivant une rédaction au bord de la crise de nerf. “Au moment de la grève d’iTélé, il y avait des noms importants comme Olivier Ravanello, Florent Peiffer ou Antoine Genton qui ont vraiment lancé le mouvement. Aujourd’hui les leaders de la chaîne sont des gens comme Pascal Praud ou Romain Desarbres, plutôt connivents avec la direction et anti-grévistes. D’ailleurs qu’auraient-ils à gagner avec cette grève, eux qui ont déjà progressé grâce à la précédente?”.

“Il n’y a plus forcément les mêmes tempéraments qu’avant”, rappelle un autre salarié de la chaîne, déjà présent en 2016. Il faut dire que près d’une centaine de journalistes avaient décidé de quitter la rédaction, impactant considérablement la chaîne.

Des effectifs réduits et une pression grandissante

La baisse des effectifs depuis le mouvement d’iTélé a provoqué une aggravation des conditions de travail, d’après plusieurs salariés interrogés. Ils pointent du doigt une direction qui demande “toujours plus, avec les mêmes moyens.” Une préoccupation bien plus importante que l’arrivée d’Eric Zemmour. “On est pas loin que ça parte en cacahuète parce qu’on a beaucoup trop de pression sur nos épaules et qu’on n’est pas assez nombreux, ça ne peut pas marcher”, explique un autre salarié de la chaîne, qui confie que les audiences en progression du concurrent LCI n’arrangent pas les choses.

Les petites mains de l’antenne sont d’ailleurs condamnées à manger quotidiennement sur leurs claviers d’ordinateur. La pause déjeuner étant proscrite dans le bocal, le réacteur d’une chaîne d’information où la plupart des vidéos sont montées avant leur diffusion dans les JT.

“Par moment, en période de rush, tu n’as même pas le temps de manger devant ton ordinateur. On nous dit ‘Il y a cette information à traiter une urgence donc vous mangerez plus tard’”. En fin de compte on ne mange pas, on ne termine jamais à l’heure et nos heures supplémentaires ne sont jamais payées”, affirme une pigiste qui n’a pas “d’autre choix” que d’accepter ces conditions de travail “pour payer son loyer”. 

“Il y a deux populations qui sont restées à CNews”, analyse Laurent D’auria. “Ceux qui en ont profité pour évoluer et gravir les échelons en remplaçant les grévistes et ceux qui n’avaient pas la possibilité de faire autrement et devaient payer leurs factures en fin de mois. Parmi les gens qui sont restés, parce qu’ils n’avaient pas le choix, plusieurs sont au bout du rouleau et souffrent aussi des critiques du public.”

Ces “anciens” de la chaîne sont difficiles à mobiliser car ils sont conscients que les temps sont durs et les emplois rares dans le secteur de l’audiovisuel. D’ailleurs, même à Canal+, la situation est loin d’être rose. Le groupe a annoncé en juillet dernier un plan de départ volontaire qui concernera près de 500 personnes au total (soit environ 20% des effectifs de Canal en France).

 

Plutôt qu’une grève, un salarié de la chaîne confie déjà réfléchir à utiliser son droit de retrait. “Nos journalistes sur le terrain se font insulter, l’image de la chaîne est entachée. Si cette hostilité devient physique et non plus verbale, je me poserai sérieusement des questions. Je ne fais pas mon travail de journaliste pour me faire frapper.”

Sollicitée par Le HuffPost, la chaîne CNews n’a pour l’heure pas donné suite à nos demandes d’interview.

https://www.huffingtonpost.fr

 

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