Pourquoi les vieilles pierres nous fascinent-elles à ce point?
Stéphane Stapinsky
A l’ère du tourisme mondialisé, de nombreuses enquêtes nous apprennent que les destinations les plus prisées, année après année, sont encore et toujours les vieux pays, comme la France et l’Italie, dont les visiteurs apprécient particulièrement le patrimoine architectural et artistique. Apportant avec eux leur quincaillerie électronique dernier cri, les voyageurs d’aujourd’hui aspirent néanmoins à faire un retour vers le passé lorsqu’ils cherchent à se dépayser. Même les personnes qui ignorent l’histoire, ou qui n’en n’ont cure, paraissent sensibles à ce charme. Elles sentent intuitivement qu’il y a là une profondeur bien réelle. La mode et le conformisme ne sont donc pas la seule explication de l’attrait des gens pour des villes comme Paris, Athènes ou Rome.
D’autres études ont par ailleurs montré que, s’ils en avaient la possibilité, bien des gens préféreraient vivre dans d’authentiques bâtiments anciens, qui laissent voir la patine du temps, plutôt que dans des édifices modernes, ou dans du simili-vieux.
Et, dans un tout autre ordre d’idée, faut-il rappeler le sentiment d’horreur et de révolte, qu’inspirent, de manière universelle, les destructions de sites antiques par l’État islamique, des sites que la plupart d’entre nous n’ont jamais visités, et sur lesquels nous connaissons bien peu de choses. N’empêche. C’est comme si, en accomplissant ces actes barbares, on profanait quelque chose de sacré, la couche la plus enfouie de notre humanité.
Pourquoi donc les vieilles pierres nous fascinent-elles à ce point? C’est d’autant plus surprenant que nous vivons à une époque qui a le culte de la technologie et de la nouveauté perpétuelle. Pourquoi, donc, cette fascination?
C’est la question à laquelle cherche à répondre une livraison récente, de belle facture et au contenu original, du Forum Journal, publication périodique du National Trust for Historic Preservation, organisme américain établi à Washington et voué à la conservation du patrimoine historique bâti.
J’ai recensé, il y a quelques mois, un ouvrage collectif sur l’importance du " lieu " pour l’identité sociale et collective. Le présent numéro de la revue (" Why Do Old Places Matter? " -- printemps 2015, vol. 29, no 3), qu’on peut télécharger gratuitement en ligne, aborde un aspect particulier de la problématique générale du lieu, à savoir les lieux chargés d’histoire.
L’origine de ce numéro de revue est une réflexion initiée sur le blogue du National Trust for Historic Preservation par Tom Mayes, conseiller de l’organisme et lauréat, en 2013, du Prix de Rome dans le domaine de la conservation, décerné par l’Académie américaine de Rome. Celui-ci s’explique : " Je suis allé à Rome pendant six mois afin de réfléchir plus à fond sur des questions qui m’habitent depuis plus d’une décennie : Pourquoi les lieux chargés d’histoire sont-ils importants? Quelle différence y a-t-il, pour les gens, entre le fait de sauver, de recycler ou de simplement continuer à utiliser de la même façon les bâtiments historiques (ou de ne pas faire toutes ces choses)? Est-ce que la présence de lieux historiques améliore la vie des gens? Si oui, de quelle manière?" (1)
On peut lire en ligne les textes des plus stimulants que Mayes a écrits sur les lieux historiques et les rapports qu’ils entretiennent avec des thèmes comme la mémoire collective, l’identité sociale et individuelle, le sacré, la communauté, l’économie, le développement durable, l’économie, la créativité, etc.
Un autre thème abordé de manière intéressante par Mayes est celui de la beauté, que l’Agora a retenu comme élément fédérateur des réflexions de ses collaborateurs pour 2016-2017. La beauté d’un bâtiment ancien, d’un quartier ou d’une ville historique, est souvent la raison principale qui motive les efforts faits en vue de leur conservation. Certes, la notion de beauté demeure sujette à discussion, et l’histoire de la philosophie le démontre bien.