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Bientôt en France?

ou déjà là…

La crise de la liberté d’expression sur les campus est pire que ce qu’on imagine

L’activisme de gauche se fait de plus en plus virulent sur les campus américains. Analyse.

En octobre dernier, Samuel Abrams, professeur de politique à L’université Sarah Lawrence, a publié une tribune libre dans le New York Times intitulée: "Vous pensez que les professeurs sont gauchistes? Vous n’avez pas vu les administrateurs".

Abrams, qui se définit comme ayant un penchant conservateur, faisait référence à de récents séminaires du bureau des affaires étudiantes tenus sur son campus: "Restez en bonne santé, restez conscientisés" (NdT: woke), " Comprendre les privilèges blancs" et " Micro-agressions".

Il décrit ces séminaires comme politiquement orientés et remarque que ce type de socialisation hyper-politisée des étudiants est de plus en plus fréquent dans le pays. Beaucoup de critiques des universités qui fustigent leurs biais gauchisants, dit-il, s’inquiètent de l’endoctrinement politique au long de l’enseignement.

Cependant l’endoctrinement se fait bien plus en dehors de la classe, durant des séminaires sponsorisés par l’université, et le biais politique des administrateurs en charge de la vie étudiante est en fait un danger bien plus important que celui du corps enseignant. (Un sondage auprès de 900 administrateurs d’université montre un ratio de 12 administrateurs de gauche contre 1 de droite, à comparer au ratio de 6 contre 1 pour le personnel enseignant.)

Il faut se rappeler qu’Abrams est un professeur titulaire écrivant à propos d’un sujet largement discuté et publiant le résultat de ses recherches dans le New York Times – le journal le plus influent d’Amérique, qu’on peut difficilement qualifier de torchon d’extrême droite.

Quelle fut la réaction de l’université Sarah Lawrence? Après avoir apparemment tenté d’entrer par effraction dans le bureau d’Abrams, des activistes du campus ont vandalisé la porte de son bureau  en déchirant la photo de son nouveau-né qu’il avait affichée comme décoration, et en y collant des affiches portant des revendications telles que "Démission" et "Notre droit d’exister n’est pas ‘idéologique’, connard".

Le conseil des étudiants a commissionné une réunion d’urgence pour parler de cette tribune offensante, et la présidente de l’université, Cristle Collins Judd, a laissé entendre à Abrams qu’il avait créé un environnement de travail hostile et lui a demandé s’il pensait qu’il était acceptable d’écrire une tribune sans son approbation. Elle lui a également demandé s’il était démissionnaire et sur le marché du travail de telle manière qu’on aurait pu prendre cela pour une suggestion.

Une nouvelle culture morale

Imaginons que vous soyez un voyageur temporel, que vous veniez d’il y a 10 ans —peut-être simplement 5 — vous auriez sans doute du mal à comprendre la situation dans laquelle nous sommes. Qu’est-ce qu’une micro-agression? Que signifie être conscientisé? Et comment se peut-il qu’une tribune du New-York Times déclenche un tel tumulte dans un campus universitaire?

Si vous avez toutefois suivi ce qui se passe sur les campus des université américaines, vous êtes maintenant habitués à ce type de manifestations et à la nouvelle terminologie morale des activistes. Ces dernières années nous avons pu voir des professeurs tels que Nicholas Christakis à Yale et Brett Weinstein de l’université d’État Evergreen cernés par des foules d’étudiants en colère les insultant, débouchant pour Christakis et sa femme, Erika Christakis, à l’abandon de leurs fonctions de chefs du pensionnat de Yale, et pour Weinstein et sa femme, Heather Heying, à leurs démissions d’Evergreen.

On a déjà entendu parler des micro-agressions, présentées comme de petits affronts s’accumulant au cours du temps et qui causent de graves dommages aux groupes désavantagés; les caveat (NDT: trigger warnings), qui sont réclamés par les étudiants avant d’être exposés à un cours qui pourrait les déranger; des espaces sécurisés (NdT: safe spaces), dans lesquels les étudiants gauchistes, supporters des politiques identitaires, n’ont pas à être confrontés à des critiques leur credo.

 

On a même été jusqu’à assimiler les discours qui choquent les activistes à de la violence, et on a pu voir ces derniers utiliser la violence physique pour arrêter ces discours — et présenter cette violence comme de l’auto-défense — si les administrateurs ne les empêchaient pas.

Ce sont des signes d’une nouvelle culture morale. Dans notre livre “L’avènement de la culture de victimisation: micro-agressions, espaces sécurisés et nouvelles guerres culturelles“, Jason Manning et moi discutons des menaces posées par cette nouvelle culture à la mission même de l’Université.

Dans la culture de l’honneur, les hommes veulent apparaître comme admirables. Être réputé courageux, capable de gérer les conflits par la violence, est important. Dans une société comme celle des États du Sud juste avant la guerre de Sécession, par exemple, un gentilhomme qui se serait, lui ou un membre de sa famille, laissé agresser ou insulter aurait été perçu comme un lâche, dépourvu d’honneur, et il aurait perdu toute sa stature sociale. Pour l’éviter, les hommes se battaient parfois en duel. Dans la culture de l’honneur les hommes sont sensibles aux plus petits affronts, mais ils gèrent eux-mêmes de telles offenses, y compris par la violence physique.

Dans la culture de la dignité, en revanche, la valeur des individus est relativement indépendante de leur réputation. Comme une insulte n’endommage pas votre valeur, votre dignité, vous pouvez ignorer les insultes. Si les faits sont graves vous pouvez vous adresser à la police ou à la justice. Dans la culture de la dignité les personnes ne sont pas sensibles aux affronts — elles sont encouragées à les endurer — et elles ne sont vraiment pas formées à gérer les agressions par elles-mêmes, certainement pas par la violence — mais incitées à recourir aux autorités compétentes.

Cette nouvelle culture de la victimisation combine l’extrême sensibilité aux agressions avec l’appel à l’autorité. Ceux qui adhèrent à ce type de culture se voient comme combattant l’oppression, et même des agressions mineures sont prises au sérieux et demandent une réponse. Affronts, insultes, et parfois même simplement des arguments, ou des démonstrations peuvent être des manières de victimiser un peu plus un groupe opprimé, et les autorités se doivent de traiter ces problèmes. On pourrait appeler cela la culture de la justice sociale car ceux qui la suivent poursuivent un objectif de justice sociale.

Nous l’appellerons cependant culture de la victimisation parce qu’être reconnu comme la victime d’une oppression confère aujourd’hui une sorte de statut moral qui ressemble énormément à celui conféré par le fait d’être brave dans la culture de l’honneur.

Ce que la culture de la victimisation n’est pas

Les événements comme ceux de l’université Sarah Lawrence et autres sont sous-tendus par la culture de victimisation, et les polémiques en résultant proviennent du clash entre cultures de dignité et culture de victimisation. La première est toujours la dominante, celle dont les étudiants et les administrateurs ne parviennent pas encore à empêcher les intervenants dans la tenue de séminaires, ou à faire renvoyer les professeurs sans faire trop de vagues.

Mais, à mesure que la culture de victimisation avance, il est crucial, spécialement pour ceux qui espèrent la stopper, de comprendre ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas.

La culture de victimisation est une nouvelle culture morale, ce n’est pas simplement une variation autour de la culture de la dignité. Ses adhérents et supporteurs continuent d’utiliser le langage de la dignité, comme quand l’écrivain Régina Rini décrit l’action de dénoncer une micro-agression comme " une culture dans laquelle personne ne se voit refuser la pleine reconnaissance morale". Cela sonne comme la culture de la dignité, à la différence près que même des affronts minuscules et non intentionnels peuvent empêcher cette pleine reconnaissance morale.

La rupture avec la culture de la dignité est cependant plus fondamentale. Cette dernière combat l’oppression en faisant appel à ce que nous avons tous en commun: notre statut d’être humain est ce qui est le plus important. Mais la culture de la victimisation perçoit les gens comme étant soit des victimes soit des oppresseurs, et elle maintient que notre position vis-à-vis de cette dichotomie est le plus important, même dans nos interactions et relations de la vie quotidienne.

 

Cela implique ultimement que la culture de victimisation est incompatible avec les buts de l’université. Rechercher la vérité dans un environnement constitué de débats intenses apportera toujours des offenses — et un des inconvénients de la culture de victimisation est que s’il est acceptable d’offenser les oppresseurs ça ne l’est pas pour les victimes.

De nombreux activistes de campus, quand ils le réalisent, ont attaqué les idéaux de liberté d’expression et de liberté académique. Une de ces visions va finir par dominer — soit la culture de la dignité et l’idée que l’université est un lieu dans lequel on recherche la vérité, soit la culture de la victimisation et l’idée que l’université est un lieu dans lequel on recherche la justice sociale.

D’une manière équivalente à celle de la culture de la dignité, cependant, la culture de la victimisation est une culture morale. Ce sont des problèmes moraux et des émotions morales qui inspirent les activistes de campus. Leurs comportements peuvent apparaître immoraux pour ceux qui ne partagent pas leurs présupposés moraux, mais ce serait une erreur de penser que les activistes se voient de cette manière, ou de penser qu’ils sont hypocrites ou qu’ils ne sont pas sincères.

Reconnaître leurs préoccupations morales aide à mieux saisir ce que Greg Lukianoff et Jonathan Haidt appellent la protection vindicative (NdT: vindictive protectiveness), à travers laquelle les activistes simultanément se protègent de certaines personnes, et sont vindicatifs envers d’autres personnes. Ce n’est pas une contradiction, mais plutôt une conséquence du fait de voir le monde à travers le prisme de l’oppression. De la même façon que dans une culture de l’honneur les gens montrent du respect pour les braves et du dédain envers les couards, dans une culture de victimisation les gens ont de l’empathie pour les victimes d’oppressions et ressentent de la colère envers les oppresseurs.

La culture de victimisation est une culture morale, et les activistes qui l’adoptent sont des acteurs moraux, ils ne font pas partie de la génération "flocon de neige" qui ne peut pas supporter le désaccord. Ils ne s’engagent pas non plus dans le théâtre politique comme John McWorther l’a suggéré:

 C’est une chose de considérer un point de vue comme répugnant. C’en est une autre de proclamer que de l’écouter constitue un type de blessure qu’aucune personne raisonnable ne devrait s’attendre à subir. C’est théâtral parce que ce n’est pas vrai.

Ce n’est peut être pas vrai, mais les activistes le croient. C’est en opposition totale avec les valeurs de la culture de la dignité, il est donc compréhensible que ceux qui sont imprégnés de la culture de dignité ont du mal à croire que les activistes sont sincères ; il n’y a cependant pas de raisons de penser qu’ils ne le sont pas.

Le fait que la culture de victimisation soit une culture morale, dont le moteur est une vision spécifique du bien et du mal, signifie en outre qu’elle n’est pas intéressée par les problématiques liées à la sécurité. Dans leur, par ailleurs excellent, nouveau livre, The Coddling of the American Mind: How Good Intentions and Bad Ideas Are Setting Up a Generation for Failure, Lukianoff et Haidt décrivent à tort la nouvelle culture des campus comme faisant partie d’une "culture de sécurité". Mais les activistes n’ont pas peur de prendre des risques ; ils sont plutôt outragés par ce qu’ils perçoivent comme des injustices.

Un exemple issu du premier chapitre de ce livre illustre en fait cette différence: dans les années 90, les parents ont commencé à suivre les conseils médicaux selon lesquels il faudrait éviter tout contact entre les enfants et les arachides. Les allergies aux arachides étaient très rares à l’époque, mais elles pouvaient êtres mortelles. Étrangement, le nombre d’allergies aux arachides a explosé depuis. On sait maintenant que c’est précisément parce que les enfants ne sont plus exposés aux arachides. Il se trouve que l’exposition aux arachides est bon pour le système immunitaire de la plupart des enfants.

Lukianoff et Haidt disent que cela illustre le principe d’anti-fragilité. À l’image du système immunitaire, l’adversité conduit souvent à nous renforcer. Les activistes de campus, comme les parents protégeant leurs enfants des arachides, embrassent le plus souvent un mythe de fragilité. Ils pensent que les gens ont besoin d’être protégés des micro-agressions et des conférenciers conservateurs, de peur qu’ils ne leur causent des torts.

 

Cependant les parents des années 90 n’essayaient pas de combattre une oppression, et les activistes de campus ne sont pas en train de se battre contre les allergies aux arachides. Les parents des années 90 suivaient des conseils médicaux qui auraient pu être corrects. Nous avons maintenant la preuve que ce n’était pas le cas, et les pratiques parentales vont sûrement changer.

Il est clair que cet exemple est une très belle parabole: éviter de faire du mal peut parfois en causer. Mais quand les activistes de campus parlent de torts et de sécurité, ils parlent du tort causé par une oppression. Leur problématique est morale, et parce que " la moralité nous aveugle et nous enchaîne ", comme le dit Haidt, ils ne seront pas facilement convaincus par des preuves allant à l’encontre de leurs croyances. Ils ont épousé un programme moral qui les lie à une communauté de camarades activistes, et qui les aveugle vis-à-vis des points de vue alternatifs. Abandonner cela demanderait quelque chose qui ressemble à la perte de la foi.

L’incapacité à saisir cette nouvelle culture morale pour ce qu’elle est conduit à un optimisme injustifié concernant le futur de l’université. Cela est vrai pour nombre de ceux qui ressentent de la sympathie envers cette nouvelle culture, pour ceux qui lui sont hostiles, tout comme pour ceux qui se situent entre les deux.

Trois types d’optimistes

En premier viennent ceux qui supportent cette nouvelle culture et ses multiples prétentions morales. Ces adeptes optimistes se trompent dans leur confiance dans le fait que l’agenda des micro-agressions, des caveat, et de l’idée selon laquelle le discours est une violence, débouchera sur ce qu’il est censé atteindre. Les adeptes optimistes sont constitués non seulement des journalistes qui écrivent pour défendre leurs idées — Régina Rini y compris, comme nous la citions ci-dessus, professeur de philosophie a écrit dans le Times pour défendre la notion de caveat ; Lisa Feldman Barrett, professeur de psychologie qui a également écrit dans le Times, défendant l’idée que le discours est une violence.

Ces défenseurs très médiatisés de certains aspects de la culture de la victimisation devraient donner matière à réflexion à un autre type d’optimistes: ceux qui, sans soutenir la culture de victimisation ou ses manifestations, ont tendance à traiter les attaques envers Abrams, Weinstein ou Christakises comme des événements isolés. Ils peuvent supporter la liberté d’expression et la liberté académique tout en niant que ces libertés soient attaquées. Ils minimisent les actions des activistes de campus comme des actions de radicaux qui peuvent être ignorées, et les nouveaux concepts moraux comme des modes passagères.

Jesse Singal, par exemple, a écrit en 2015 un guide sur les micro-agressions qui est utilisé, entre autres, par l’université de Californie. Il a dit que certains administrateurs ont tout simplement " un peu sur-interprété leur compréhension du concept" , et est allé jusqu’à nier l’idée que les plaintes liées à des micro-agressions pouvaient reposer sur de nouvelles revendications morales.

Noah Smith, un autre auteur qui pourrait entrer dans cette catégorie, dans un long échange sur Twitter, a nié que les atteintes envers la liberté d’expression et la liberté académique dans les campus universitaire soient des problèmes sérieux, en concluant " cette problématique est exagérée et nous distrait de problèmes plus importants".

La troisième catégorie d’optimistes, les optimistes critiques, comprennent mieux ce qui se passe et pourquoi. Ce sont des observateurs des tendances des campus qui comprennent la menace qu’elles représentent. Ils ont tendance à défendre les idéaux de la culture de la dignité, et peuvent même activement participer aux tentatives pour sauver l’université. Leur erreur est moins dans le diagnostic du présent que dans leurs prescriptions pour le futur.

Prenons par exemple James Lindsay, qui, avec Helen Pluckrose et Peter Boghossian, a récemment illustré à quel point la culture de la victimisation est enracinée dans certains domaines en dupant un certain nombre de revues. Ils ont ciblé des domaines tels que les études de genre et les études ethniques, qui, selon eux, ne sont guère plus que des "études de griefs" (NdT Grievence Studies) parce que leur  "objectif est de problématiser des aspects de la culture dans leurs moindres détails afin de tenter de diagnostiquer des déséquilibres de pouvoir et d’oppression qui seraient ancrés dans l’identité". Ils ont réussi à faire publier des articles dans un certain nombre de revues spécialisées de ces domaines, dont un sur la culture du viol dans les parcs à chiens, concluant que les hommes devraient être éduqués davantage comme les chiens. Le projet a montré combien certains champs académiques sont corrompus, mais est-ce que cela va aider à quelque chose? Lindsay soutient que ce sera le cas, il a écrit sur Twitter qu’il est " presque certain que le vent a tourné". Il a poursuivi par: " Je vois le mur qui commence à se fissurer. J’entends des murmures. Les réactions silencieuses à notre projet et le fait qu’il soit impossible de le faire disparaître sont d’énormes indices. "

Considérez également Jonathan Haidt, qui a peut-être fait plus que quiconque pour mettre en lumière les problèmes des campus. En 2015, il a co-écrit avec cinq autres psychologues un article de journal sur les problèmes de psychologie sociale résultant de l’absence de diversité politique. La même année, il a contribué à la création de la Heterodox Academy, dont le but est de promouvoir la diversité des points de vue sur les campus. Avec Greg Lukianoff, il a co-écrit l’article de The Atlantic intitulé " The coddling of the american dream " (NdT: jeux de mots intraduisible sur la double signification du verbe coddle qui signifie cuire à l’étouffée et protection exagérée), selon lequel les concepts de micro-agression, des caveat et safe spaces étaient susceptibles de causer un préjudice psychologique aux personnes mêmes qu’ils étaient censés aider. Lukianoff et Haidt ont ensuite étendu l’article en un livre publié cette année, avec le même titre, sus-mentionné.

Haidt écrivait fin 2017 qu’il pensait que "2018 sera l’année où les choses commenceront à s’infléchir et de nombreux autres leaders universitaires se lèveront et revendiqueront les valeurs de la diversité des points de vue".

Le problème de l’optimisme

Les critiques optimistes ont raison sur de nombreux points, mais leur optimisme semble être un vœu pieux. Les " études de griefs " que Lindsay, Pluckrose et Boghossian ont ciblé sont toujours enracinées dans les universités, et ceux qui sont bienveillants envers ce type d’études ont simplement rejeté le canular en pointant du doigt les vulnérabilités du mécanisme d’examen par les pairs en général. L’idée est que les canulars " auraient pu marcher contre presque toutes les disciplines empiriques et donner les mêmes résultats" . Jason Manning souligne que le canular a probablement procuré aux praticiens de ces domaines un " embarras momentané, mais à quoi cela mène-t-il", a-il demandé, "contre les postes statutaires, l’argent pour les missions, le statut professionnel et la capacité de diffuser votre politique aux jeunes?".

Pendant ce temps, les gens trouvent de nouvelles façons de saper les bases de l’esprit scientifique au nom de la justice sociale. Par exemple, un professeur a écrit récemment dans " La Chronique de l’enseignement supérieur ", ce qu’elle considère comme un dilemme: comment éviter de citer le travail d’hommes qui sont des harceleurs ou des connards. Elle conclut que la meilleure chose à faire pourrait être de soumettre des articles révisés selon les instructions d’un éditeur pour citer certaines œuvres, puis de supprimer discrètement ces citations avant publication.

Qu’en est-il de la liberté d’expression et de la liberté académique? Les récentes attaques envers Abrams à l’université Sarah Lawrence, et l’incapacité initiale du président à les condamner et à supporter Abrams, sont aussi exemplaires que les autres, spécialement quand on prend en compte le contenu réel de la tribune libre.

Qu’en est il des micro-agressions? Le terme a continué à gagner en popularité. Si l’on se limite à 2018 voici certaines manières dont les administrateurs ont continué à surinterpréter un peu plus:

La National Science Foundation a accordé une subvention à des chercheurs de l’Iowa State University pour l’étude des micro-agressions dans les cursus d’ingénierie.

L’Université de l’Utah a placé des affiches de déclarations de micro-agression sur le campus pour sensibiliser le public.

À l’Université de Buffalo, les micro-agressions ont été le thème de la conférence annuelle du centre de prévention de l’intimidation.

À l’école de santé publique de l’Harvard, les étudiants sont désormais interrogés avec des formulaires d’évaluation des cours sur les micro-agressions. Au printemps dernier, dans 43 des 138 cours évalués, au moins un étudiant a déclaré avoir entendu "des insultes/offenses verbales ou non verbales". Les administrateurs ont déclaré qu’ils enquêtaient sur les sept professeurs dont les cours avaient reçu au moins trois de ces cas.

Et même si les militants et les administrateurs se préoccupent d’éventuels affronts mineurs contre ceux qu’ils perçoivent comme des victimes, ils commettent ou tolèrent des insultes et des discours de haine dirigés contre ceux qu’ils perçoivent comme des oppresseurs. Selon un professeur, un étudiant de race blanche aurait été torturé et tué par les Nord-Coréens pour avoir volé une affiche et " aurait obtenu ce qu’il méritait", et qu’il était comme les autres " jeunes hommes de race blanche, blancs, sans intelligence et sans ressource ", a-t-elle enseigné. Un autre professeur de Rutgers a écrit sur Facebook: " Je hais les Blancs maintenant". Après qu’un groupe d’étudiants de Stanford ait affiché " Pas de crackers " (NdT Cracker est un terme péjoratif pour désigner des Blancs, un peu l’équivalent de nigger pour une personne noire) sur le bus de leur communauté, un membre du personnel les a défendus en disant: "J’espère que nous n’avons pas de crackers ici".

De plus, la culture de la victimisation se répand déjà au-delà des universités, ce qui renforce encore plus le pessimisme qu’on peut entretenir. Des entreprises et organismes gouvernementaux, même la NASA, ont commencé à proposer leurs propres formations en micro-agression. Dans le comté de Multnomah, en Oregon, un accord conclu récemment entre le comté et le syndicat ouvrier municipal garantit que " le comté et le syndicat ne toléreront aucune forme de micro-agression". Le Times a récemment engagé Sarah Jeong au sein de son comité de rédaction, en dépit des insultes contre les Blancs et les hommes qu’elle a proféré sur Twitter — on parle de choses comme " Faites disparaître les Blancs " (NdT #CancelWhitePeople) ou " Les hommes blancs sont des merdes ", le genre de choses qui sont communes chez les activistes de campus mais qui ne faisaient pas auparavant partie de la culture dominante. Et alors que le Times prenait ses distances avec les tweets incriminés, les rédacteurs de Vox et d’autres médias de centre-gauche les défendaient. Ezra Klein, par exemple, a déclaré que les tweets tels que " Faites disparaitre les Blancs " sont simplement des appels à la contestation de la structure de pouvoir dominante. Zack Beauchamp a dit que "les hommes blancs sont des merdes" est une façon de souligner l’existence d’une structure de pouvoir favorisant les hommes blancs.

L’avènement d’une nouvelle culture morale peut être difficile à contrer. Les articles et essais n’y arriveront pas, même une organisation comme l’Académie Hétérodoxe semble avoir été inefficace dans son objectif d’accroître la diversité politique dans les universités. Peut-être n’y a-t-il aucun moyen d’y parvenir. John Wright discute "des problèmes qui accompagnent inévitablement les efforts visant à élever la pensée hétérodoxe au sein de l’académie", notamment du fait que le nombre de gauchistes dépasse tellement celui des conservateurs: " La gauche possède virtuellement intégralement l’institution et un bon nombre de professeurs en sciences humaines et sociales le tout avec un mépris assumé". Mais dans ces conditions, comment l’Académie Hétérodoxe peut-elle faire appel à la gauche sans compromettre sa mission? Wright souligne que lors de la récente réunion de l’Académie Hétérodoxe à New York l’été dernier, 25 des 28 participants étaient de gauche ou de centre-gauche.

Cela a montré, entre autres faiblesses, qu’il n’a pas été question de la montée en puissance des cursus de victimisation basés sur des revendications intersectorielles. Aucune mention de l’impact du postmodernisme sur l’académie n’a été observée. Aucune mention des domaines de recherche biaisés produits par la domination idéologique de la gauche, ou du fait que ce qui compte maintenant comme recherche dans certains domaines est tellement embarrassant que les comptes Twitter les raillent parce que les professeurs ne peuvent ou ne veulent pas en parler“.

Ce ne sont pas des choses qui peuvent être ignorées si on cherche à résoudre les problèmes de l’université. Il se peut que ces problèmes ne puissent être réglés dans les circonstances actuelles, mais cela ne signifie pas que tout effort de réforme soit voué à l’échec. Les obstacles rencontrés par l’Académie Hétérodoxe peuvent être insurmontables, mais si cela est vrai, alors il nous reste peu de raisons d’être optimistes.

Et si c’est vrai — que l’Académie Hétérodoxe et d’autres efforts de réforme risquent probablement d’échouer — alors trop d’optimisme est naïf. Mais cela pourrait également être préjudiciable si cela conduit à la complaisance, et à la négligence face à de nombreux problèmes réels et difficiles.

Le problème du désespoir

Bien évidemment, le danger du pessimisme est qu’il conduit au désespoir, qui n’est pas vraiment justifié non plus. Aucun d’entre nous n’a de boule de cristal. Les optimistes critiques pourraient avoir raison. Peut-être que les choses vont s’inverser. Ou peut-être que nos efforts seront finalement voués à l’échec, mais qu’ils aideront à préserver l’académie pendant quelque temps. Malgré tous les problèmes rencontrés par les universités, elles font encore beaucoup de bonnes choses. Les sciences naturelles avancent sans être submergées par la gauche identitaire, et aussi graves que les attaques contre l’érudition et la liberté d’expression soient dans les sciences sociales et humaines, elles n’y sont pas omniprésentes.

Le caractère aléatoire des attaques fait partie du problème, cela les rend difficiles à éviter, même si l’on essaie de se conformer à la dernière orthodoxie de gauchiste en date. Mais ce caractère aléatoire signifie également que même des penseurs parmi les plus anti-conformistes ne sont pas encore attaqués. Une chose étrange à propos de l’incident d’Abrams est qu’il écrit des choses similaires depuis un certain temps déjà sans qu’il y ait eu d’incident. Dans toutes les universités du pays, les gens discutent et débattent — avec plus d’inquiétude peut-être, mais il est généralement encore possible de le faire. S’il y a une chance de conserver cela, ne serait-ce que de façon temporaire, nous devrions le faire. Il est peu probable que nous réussissions, mais essayer en vaut la peine.

La force de la culture de la victimisation

Pour essayer, cependant, nous devons reconnaître ce à quoi nous sommes confrontés. Le malentendu à propos de la culture de la victimisation a conduit les critiques de ses diverses manifestations à en sous-estimer la force.

Une des raisons pour lesquelles la culture de la victimisation est forte est que ceux qui l’acceptent sont sincères et zélés. Si vous êtes choqué par des événements tels que ceux de l’université Sarah Lawrence, vous avez probablement une morale très différente de celle des activistes. Que vous soyez hostile aux activistes, que vous pensiez qu’ils sont répugnants ou ridicules, ou que vous leur soyez sympathique, que vous croyiez qu’ils sont bien intentionnés mais égarés, vous n’arrivez pas à comprendre ce changement de paradigme.

Le simple fait de les condamner ou, pire encore, de les insulter ou d’essayer de les provoquer ne servira à rien. Les ignorer jusqu’à ce que les choses deviennent incontrôlables, comme à l’Université Sarah Lawrence, ne fonctionnera pas non plus. Si vous voulez sauver l’académie, vous devez commencer par offrir une vision morale alternative.

Traduction de Frédéric Prost pour Contrepoints

Bradley Campbell est maître de conférences en sociologie à l’université d’état de Californie. Vous pouvez le suivre sur Twitter @CampbellSocProf.

 

EN FRANCE:

https://www.valeursactuelles.com

Les blocages d’universités du printemps dernier relevaient de cette mouvance. En France, pour comble de malheur le "progressisme" s’allie à l’islamisme en une forme de détestation ouverte de la civilisation.

J’ajouterai que cela se passe avec la bénédiction des thuriféraires de l’État maman. Alors que les gilets jaunes ont été allègrement gazés ou matraqués par les sbires du pouvoir, combien de pleurnichards assistés gauchistes ont été réprimés?

Je crois que le mot "racisme" devrait pouvoir s’appliquer. La volonté de revendiquer tout le pouvoir au nom d’un respect nécessaire, non pour éviter des discriminations mais pour imposer sa dominance physique susceptible est un racisme caractérisé. C’était ce que faisaient les nazis.

La gauche a toujours été la 5e plaie de l’Apocalypse!

 

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