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Philosophie - Page 7

  • Du rejet de la science et de ses conséquences

    Du rejet de la science et de ses conséquences

    Le rejet de la science a des conséquences concrètes, tous les jours. En 2011, 15 000 cas de rougeole ont été recensés, en bonne part à cause du rejet de la vaccination.

    Par Th. Levent.

    Laboratoire à l'université de Cologne (Crédits Magnus Manske Licence Creative Commons)Comme chacun sait, la science et ses applications sont les pires ennemis du genre humain, ne parlons même pas des bêtes. Pour illustrer notre propos, prenons l’exemple de la médecine.

    Le vaccin papillomavirus humain (HPV), particulièrement le Gardasil®, serait un horrible poison si l’on en croit la presse après la plainte d’une jeune fille l’accusant d’être à l’origine d’une maladie neurologique dont elle est victime.

    Bien entendu, personne ne s’intéresse à l’avis de la Société de Pathologie Infectieuse de Langue française qui rappelle que : " Les données australiennes démontrent que la vaccination HPV des jeunes filles est efficace pour la prévention des lésions précancéreuses de l’utérus et des cancers de l’utérus. L’analyse de risque effectuée par l’European Center for Diseases Control démontre le bénéfice de cette vaccination en termes de santé publique et ne fait pas apparaître de sur-risque de complication neurologique inflammatoire par rapport à la population non-vaccinée, information confirmée par la Food and Drug Agency. Dans l’état actuel des connaissances, aucun lien de causalité n’a été établi entre une vaccination contre le virus HPV et la manifestation d’une maladie neurologique inflammatoire chronique ".

    Il faut dire que ces remarques émanent d’une société savante, autrement dit d’un groupe d’idiots utiles forcément à la solde des grands groupes pharmaceutiques… Cela rappelle furieusement l’analyse d’autre sociétés savantes vis-à-vis de la célèbre non-étude de Séralini, totalement infirmée dans un silence médiatique assourdissant.

    La défiance savamment entretenue envers la vaccination peut avoir un impact très concret. En 2011, 15 000 cas de rougeole ont été notifiés en 2011, 1 000 cas ont présenté une pneumopathie grave, 31 une complication neurologique et 10 sont décédés.
 Ceci est directement lié à une diminution de la couverture vaccinale.

    Dans l’affaire qui n’en est pas une du Gardasil®, les notions de biais, de facteurs confondants, de limites d’interprétation épidémiologiques… etc., sont largement effacées des écrans radar. Trop compliqué nous dit-on. Sauf que ces informations sont fondamentales pour ne pas gober n’importe quoi.

    C’est donc sur l’ignorance et l’absence de culture scientifique, que jouent nombre de nostalgiques du " c’était mieux avant, la science c’est dangereux, on nous ment, le livre noir du scientisme est ouvert… ". Dézinguons avec application notre savoir-faire en biotechnologie, nanotechnologie et autres recherches sur la manière d’extraire au mieux les gaz de schiste par exemple. Jetons dans les poubelles de l’histoire les vaccins et antibiotiques, la chimie, les ondes hertziennes et les électrons qui ne sont pas verts au motif que tout ceci n’est pas très naturel et peut-être dangereux. La pusillanimité générale inhérente au principe de précaution constitutionnalisé défendu bec et ongle par nos visionnaires Verts tout particulièrement, commence à faire des ravages en gélifiant toute velléité de la moindre prise de risque. La sclérose administrative et psychologique est telle que de plus en plus de nos jeunes très bien formés en France en grande partie sur fonds publics, migrent vers des cieux plus riants, dynamiques et moins pleurnichards. Cela nous coûte la bagatelle de 10 milliards d’euros par an. Encore bravo s’exclament les pays accueillants qui finalement adorent la France.

    Il faut dire que rien n’est fait pour nous faire aimer et comprendre la science et son intérêt, à commencer par la formation scientifique de nos élites dirigeantes toutes ou presque sorties de l’ENA (des administrateurs) ou de HEC Paris (des commerciaux). Bref, tout sauf des créateurs et des chercheurs. Le Japon, l’Allemagne où la Chine n’hésitent pas à promouvoir des scientifiques au gouvernement. La France quant à elle, n’a pas de pétrole, mais possède des scientifiques de haut niveau qu’elle n’écoute pas, même en leur commandant des rapports tous plus instructifs et pragmatiques les uns que les autres (rapports Gallois, Lauvergeon… ) qui finissent tous dans les tiroirs. Un suicide à répétition.

    Deux rayons de soleil éclairent néanmoins cette fin d’année morose.

    Gilles-Éric Séralini va peut-être devoir passer à la caisse et rembourser les sponsors de la grande distribution qui avaient soutenus " en toute indépendance " l’inoubliable étude qui avait fait la Une du Nouvel Observateur (toujours en toute indépendance) sur la toxicité des OGM (tumeurs à tous les étages). La revue Food and Chemical Toxicology a retiré de sa publication cette étude, qui n’existe donc plus, après réexamen par un comité d’experts qui, de nouveau, confirme la nullité méthodologique des analyses statistiques. Un minimum de recul, de connaissance et d’analyse scientifique journalistique n’aurait certainement pas nui au débat et à l’intelligence des lecteurs. Corinne Lepage, la Brigitte Bardot des chromosomes torturés, reste étrangement silencieuse pour une fois. Seul l’hebdomadaire Marianne a relayé cette information écolo-incompatible.

    Michel Serres, philosophe au savoir immense, persiste à s’émerveiller devant les mutations technologiques, celles de l’information en particulier. Cela nous change du discours catastrophiste habituel des rabougris de l’innovation.

    Tout n’est peut-être pas perdu.

  • Insensibilité, mère des déraisons

    Insensibilité, mère des déraisons

    Jocelyn Giroux


    «Notre cher Kant a le mérite incommensurable pour le monde, et pourrais-je dire, pour moi, d’associer dans sa critique du jugement l’art et la nature et de leur accorder à eux deux le droit d’agir sans but par principe. Depuis toujours Spinoza m’avait inculqué la haine des causes finales absurdes. La nature et l’art sont trop grands pour aspirer à des fins et n’en ont pas besoin, car il y a un tissu de relations en tous sens, et les relations sont la vie.»Goethe

     
    Goethe a reconnu l'importance capitale de Kant lorsqu'il s'agit de penser lucidement le rapport de l'homme à l'univers. Il retrouvait  chez le génie de Könisberg «la haine des causes finales» qu'il avait retenue de Spinoza. Le rejet d'un finalisme transcendant est une des composantes de la vision immanente du monde. L'univers n'obéit pas aux désirs de l'homme et il est vain d'y projeter nos fantasmes en les objectivant inconsciemment.

     Ainsi répond Spinoza dans sa correspondance avec Hugo Boxel qui dans une lettre, s’émerveillait de  la beauté et de la perfection de l’univers : «la beauté, Monsieur, n’est pas tant une qualité de l’objet considéré qu’un effet se produisant en celui qui le considère. Si nos yeux étaient plus forts ou plus faibles, si la complexion de notre corps était autre, les choses qui nous semblent belles nous paraîtraient laides et celles qui nous semblent laides deviendraient belles. La plus belle main vue au microscope paraîtra horrible. Certains objets qui vus de loin sont beaux, sont laids quand on les voit de près, de sorte que les choses considérées en elles-mêmes  ou dans leur rapport à Dieu  ne sont ni belles ni laides. Qui donc prétend que Dieu a créé le monde pour qu’il fût beau, doit nécessairement admettre ou bien que Dieu a fait le monde pour l’appétit et les yeux de l’homme, ou bien qu’il a fait l’appétit et les yeux de l’homme pour le monde.»

     Alain a dit la même chose autrement : « la sagesse consiste à éliminer, autant qu’on peut, cette part de soi-même dans ce qu’on connaît. Qu’on y arrive, c’est ce que montre la suite des sciences mais la difficulté est grande pour cette partie de nos visions qui naît de mouvements tumultueux du corps humain et des passions qui en résultent, comme la peur ou l’espérance. L’imagination projette parmi les choses les reflets de nos émotions».

     Cela dit, sans présumer ce que sera la nature humaine dans 100,000, 50,000, 10,000, 5,000 ou même 1,000 ans, nous pouvons soutenir que l'état des connaissances permet d'affirmer que l'Homme n'a pas évolué pour vivre désincarné dans un laboratoire blanc cru où la raison régnerait seule. La morale, l’art, l'amitié, l'amour, la quête de sens sont impossibles sans la médiation de la sensibilité. L'évolution a retenu dans le développement de notre adaptation au monde l'émotion et la raison. Il ne faut négliger ni l'une ni l'autre. «La capacité d’exprimer et de ressentir des émotions est indispensable à la mise en œuvre des comportements rationnels. Et lorsqu’elle intervient, elle a pour rôle de nous indiquer la bonne direction, de nous placer au bon endroit dans l’espace où se joue la prise de décision, en un endroit où nous pouvons mettre en œuvre correctement les principes de la logique».

     

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    L'astronome,  Johannes Vermeer


    Quel est le sujet du tableau de Vermeer reproduit plus haut ? La lumière ? La couleur ? Le silence ? La science ? L'astronome de Vermeer est sérieux mais serein. Il tourne doucement le globe céleste. Une draperie veloutée recouvre une partie de la surface de la table près d’un livre d’astronomie. On entrevoit un compas et un astrolabe en partie cachés mais illuminés par un flot de lumière entrant par la fenêtre.

    Que deviendrait la scène sans cette lumière ? Imaginez que la fenêtre est murée. Dans ce chef-d’œuvre, j'interprète cette lumière qui inonde l'astronome et les symboles de sa science comme une  métaphore de la sensibilité qui donne chaleur et couleur à notre rapport au monde. Cette scène intimiste est pour moi une allégorie de notre lien avec l'univers. Que serait pour nous la science dans le noir ou la lumière sans savoir ?

    Trop de lumière aveugle. Apparaît alors le finalisme qui est un débordement analogue à l'amour fou. Ou la peur, le vertige ou la déréliction même comme je le perçois dans Le Moine au Bord de la Mer de David Caspar Friedrich.

     

  • Humanisé par votre portable?

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    Par Jacques Dufresne

    Il porte trois noms en français. Vous l’appellerez cellulaire si vous avez le sentiment qu'il vous enferme dans une cellule, mobile si vous êtes sensible au fait qu’il vous précède et vous surveille sur les routes du monde, portable si vous le portez avec la conviction que vous le précédez et le contrôlez, que c’est vous qui le tenez en laisse et non lui.

    Les allemands l’appellent Handy, nom qu'aurait sans doute choisi le paléoanthropologue Leroi-Gourhan, aux yeux duquel l’humanisation suppose trois éléments : "un singe se met debout, libère la face pour la parole, la main pour l’outil ."[1] Ce bipède prométhéen a eu beau transformer les pierres en hache, se munir de sifflets pour étendre la portée de sa voix, l’essentiel lui manqua jusqu’au jour où l’outil total lui fut proposé : un outil qui tient dans sa main, porte sa voix et son image aux confins du monde, transmet la musique des sphères à son oreille. À quatre pattes, il n’aurait jamais pu l’utiliser. Il fallait qu'il se dresse. En introduisant ici un peu de finalité – le hasard ne peut tout de même pas expliquer une invention si complexe – on pourrait dire que le singe s’est dressé en vue de pouvoir un jour utiliser un portable!

    Outil global

    Outil global. C’est l’auteur de Ontologie du téléphone mobile, Maurizio Farraris qui le dit : "Il permet de se connecter à tous les systèmes de communication, orale ou écrite, d’accéder à tous les systèmes d’enregistrement (écriture, image, musique), de vérifier son extrait de compte bancaire, de payer son billet de métro ou sa place d’opéra, de télécharger un livre et de le lire dans le train, tout cela tandis qu'un SMS peut m’apprendre que le Premier ministre a remis sa démission, que le taux d’intérêt a changé…"[2] Votre ontologie est déjà désuète monsieur Farraris : votre portable est aussi votre caméscope et votre salle de cinéma, il peut en outre vous orienter, tracer vos itinéraires, vous situer sur la planète, vous situer dans le temps et, moyennant quelques applications simples qui le prolongent, diagnostiquer vos maladies, vous avertir que vous avez besoin de boire de l’eau, etc.


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  • Google et l'immortalité transhumaniste

    Définition

    Google vient d’adhérer au transhumanisme. Faut-il s’en étonner? Son siège social est voisin de la Singularity University fondée par Ray Kurzweil.

    La dénaturation de l’humanité s’accélère. Je n’aime pas la surenchère verbale, mais je constate que l’être humain évolue si rapidement en ce moment qu’on est toujours à court d’adjectif pour désigner son état actuel. Il y a quelques années, le verbe augmenter (traduction de to enhance)s’est imposé à nous. Car dans les milieux où s’ébauchent les tendances, tout, à l’instar de l’organe cible du viagra, pouvait ou pourrait être augmenté.

    Pour ce qui est du cerveau, l’augmentation fut si grande qu'il en est résulté une forte tendance à penser que notre personne entière se réduisait à cet organe et qu'il serait déjà immortel... sur un disque dur. Il était depuis longtemps le siège du quotient intellectuel, lequel est monté en grade avec lui. Les transhumanistes ont fait du QI la qualité par excellence de l’être humain; les parfaits cathares se reconnaissaient entre eux à leur sainteté, les transhumanistes se reconnaissent à leur QI. Ce sont des QuIstres (porteurs de hauts QI). Signalons que celui de l’héroïne d’Inferno est de 208, vs 200 pour Stephen Hawking!

    Ces QuIstres ont poussé à sa limite la révolte contre une réalité jusque là inéluctable, la mort «On ne peut pas vivre en un meilleur temps qu'aujourd'hui ou la mort est, ou sera bientôt anéantie pour un certain nombre de personnes privilégiées qui se seront vouées, consacrées à l'anéantir ou pour les bien nantis de la planète.» Death is obsolete. C’est le titre du dernier site in. Il est l’œuvre de Andy Walker, un ami intime de David Bunnel, fondateur de PC Magazine, PC World et MarWorld. Ces bienfaiteurs de l’humanité ont un grand mérite. Ils évitent la démagogie consistant à promettre à tous une solution finale dont ils savent très bien qu'elle sera réservée à quelques-uns.

    Les deux grands mystères dont parlait le psychiatre Karl Stern, la mort et la folie se réduisent sous nos yeux au second suite à la négation du premier. La seule façon de nier la mort dans le passé c’était de refuser d’y penser. Ce n’était qu'une demi-négation. Comme on se sentait et on se savait vivant, on se savait et on se sentait mortel. La vie était la chute d’un corps. Personne ne pouvait en douter. La révolte actuelle contre la mort en est la négation complète. Elle se répand comme la lumière parce qu'elle est le fait de personnes au sommet de la richesse et du quotient intellectuel, comme Stephen Hawking Larry Page, président de Google, Arthur Levinson, président de Apple, Pieter Thiel et Elon Musk co-fondateurs de Paypal.

    Larry Page vient de lancer, avec Arthur Levinson, une entreprise que le Time magazine a présentée sur sa page couverture en posant la question suivante : Can Google solve death? Solve ? Résoudre? La mort n’est-elle donc qu’un problème technique que l’on pourra résoudre comme on en a résolu tant d’autres? Nous avons échappé à la pesanteur, pourquoi n’échapperions-nous pas à l’entropie? Par le seul choix du verbe to solve, les éditeurs du Time prennent position en faveur des mutins. La révolte actuelle contre la mort est en effet l’équivalent d’une mutinerie sur le vaisseau terre. Les mutins ont déjà l’espoir que Elon Musk les transportera sur Mars. Il nous manque un mot, dérivé de mars, qui serait synonyme de lunatique!

    Les promesses actuelles de la technoscience sont des découvertes classiques devenues folles et elles suscitent un espoir, confirmé par Teilhard de Chardin. Un espoir qui est une autre de «ces vertus chrétiennes devenues folles» dont parlait Chesterton. Je n’en peux plus de disserter sur ce délire qu'on prend au sérieux parce qu'il est bien coté en bourse (mais pour combien de temps?) Les génies sont nus et ils sont fous. Ouvrons les yeux.

    Si le mystère de la mort ne nous immunisait pas contre celui de la folie, il en limitait la contagion. La mort c’était la vie, c’était la contradiction, le réel, c’était la chair, c’était la terre. Séparé d’elle, on s’expose au diagnostic du même Chesterton : «le fou est celui qui a tout perdu, sauf la raison», la raison instrumentale plus précisément. Il faut en effet avoir tout perdu pour se réjouir, comme le fait Stephen Hawking, de durer indéfiniment à l’état de logiciel sur un disque dur!

    Par comparaison, l’absurde de Camus est plein de sens : puisqu’il ne faut s’attendre à rien après la mort, faisons de chaque instant une chose inoubliable, ayons le bonheur et l’honneur d’avoir été juste sans attendre de récompense.

    Quand on s’éloigne de la mort, on s’éloigne du réel sous toutes ses formes et notamment du réchauffement climatique et des exigences du développement durable. Ne dureront désormais que les quelques élus d’Elon Musk, ceux qui seront assez riches pour monter à bord de ses vaisseaux martiens.

    Et malheur aux mortalistes, ceux qui restent attachés à la mort comme à une condition de leur épanouissement, tel Victor Hugo :

    "C'est une double issue ouverte à l'être double.

     Dieu disperse à cette heure inexprimable et trouble

     Le corps dans l'univers et l'âme dans l'amour." Hugo

    Nick Bostrom, le créateur de Skype, et l’un des maîtres à penser des transhumanistes, a montré les mortalistes du doigt comme de dangereux hérétiques au sein de la religion du progrès. Est-ce la première salve de la prochaine guerre de religion, celle des QuIstres immortels contre les mortels?

    On vient tout juste d’établir la preuve que l’espérance de vie en bonne santé diminue en Europe. On apprenait aussi récemment que les événements climatiques extrêmes provoquent la violence entre les peuples et même à l’intérieur des familles. Pour alléger ce fardeau on pratique l’eugénisme au début de la vie et l’euthanasie à la fin… et au nom du même progrès on voudrait prolonger indéfiniment la durée – qu'’il faut bien se garder de confondre avec la vie – des plus riches et des plus QuIstres? Nous les hommes efficaces, nous transformons tout en instrument. Nos idoles californiennes réussissent même à rentabiliser leur folie. Ray Kurzweil possède une usine de pilules de longévité. Larry Page sait compter lui aussi.

    L’entreprise qu'il vient de lancer, avec la complicité du magazine Time, une venture appelée Calico (California Life Company) a pour mission de ''se focaliser sur la santé et le bien-être, en particulier sur le défi du vieillissement et des maladies qui y sont associées". Larry Page savait, bien avant vous et moi, que le marché des produits anti-vieillissement devrait représenter 261,9 milliards de dollars fin 2013, selon une étude du cabinet BCC Reseach, et qu'il pourrait atteindre 345,8 milliards d'ici cinq ans, selon la même étude.

    Ce n’est pas le premier projet ambitieux de ce genre. En 1971, le président Richard Nixon déclarait la guerre au cancer. Aujourd’hui de nombreux spécialistes de la question, dont le docteur Nortin M.Hadler, sont d’avis que le principal progrès dans ce domaine a consisté à diagnostiquer les cancers plus tôt, à un moment où l’on peut difficilement prédire s’il s’aggravera ou s’il disparaîtra. Dans ces conditions, les chances de survie après cinq ans ne pouvaient qu'être meilleures.

    L’industrie du cancer, elle, par contre, a prospéré. Il en sera probablement de même de l’industrie de l’immortalité. Ce qui se complote et se mijote c’est une médicalisation massive des derniers âges de la vie. On avait bien des raisons de croire que cet objectif avait déjà été atteint et même largement dépassé. Ce n’était qu'un avant-goût. Il y a pour Google de fabuleux profits à l’horizon, parce que, dans la course vers la conquête de ce nouveau marché, le moteur de recherche jouit d’un avantage déterminant: la médecine est devenue une science de l’information. Pour réussir désormais dans ce domaine il faut être en mesure de faire une analyse fine des milliers d’articles qui paraissent chaque jour.

    Autre preuve de la montée du formalisme et de la désincarnation. La médecine est passée de la palpation à la digitalisation. Nous passons de l’incarnation à la cérébralisation.

    http://encyclopedie.homovivens.org/Dossiers/google_et_limmortalite_transhumaniste

  • En quoi consiste l'inspiration occitanienne?

     

    Simone Weil

    Pourquoi s'attarder au passé, et non s'orienter vers l'avenir? De nos jours, pour la première fois depuis des siècles, on se porte à la contemplation du passé. Est-ce parce que nous sommes fatigués et proches du désespoir? Nous le sommes; mais la contemplation du passé a un meilleur fondement.

    Depuis plusieurs siècles, nous avions vécu sur l'idée de progrès. Aujourd'hui, la souffrance a presque arraché cette idée hors de notre sensibilité. Ainsi nul voile n'empêche de reconnaître qu'elle n'est pas fondée en raison. On l'a crue liée à la conception scientifique du monde, alors que la science lui est contraire tout comme la philosophie authentique. Celle-ci enseigne, avec Platon, que l'imparfait ne peut pas produire du parfait ni le moins bon du meilleur. L'idée de progrès, c'est l'idée d'un enfantement par degrés, au cours du temps, du meilleur par le moins bon. La science montre qu'un accroissement d'énergie ne peut venir que d'une source extérieure d'énergie; qu'une transformation d'énergie inférieure en énergie supérieure ne se produit que comme contre-partie d'une transformation au moins équivalente d'une énergie supérieure en énergie inférieure. Toujours le mouvement descendant est la condition du mouvement montant. Une loi analogue régit les choses spirituelles. Nous ne pouvons pas être rendus meilleurs, sinon par l'influence sur nous de ce qui est meilleur que nous.

    Ce qui est meilleur que nous, nous ne pouvons pas le trouver dans l'avenir. L'avenir est vide et notre imagination le remplit. La perfection que nous imaginons est à notre mesure; elle est exactement aussi imparfaite que nous-mêmes; elle n'est pas d'un cheveu meilleure que nous. Nous pouvons la trouver dans le présent, mais confondue avec le médiocre et le mauvais; et notre faculté de discrimination est imparfaite comme nous-mêmes. Le passé nous offre une discrimination déjà en partie opérée. Car de même que ce qui est éternel est seul invulnérable au temps, de même aussi le simple écoulement du temps opère une certaine séparation entre ce qui est éternel et ce qui ne l'est pas. Nos attachements et nos passions opposent à la faculté de discriminer l'éternel des ténèbres moins épaisses pour le passé que pour le présent. Il en est ainsi surtout du passé temporellement mort et qui ne fournit aucune sève aux passions.

    Rien ne vaut la piété envers les patries mortes. Personne ne peut avoir l'espoir de ressusciter ce pays d'Oc. On l'a, par malheur, trop bien tué. Cette piété ne menace en rien l'unité de la France, comme certains en ont exprimé la crainte. Quand même on admettrait qu'il est permis de voiler la vérité quand elle est dangereuse pour la patrie, ce qui est au moins douteux, il n'y a pas ici de telle nécessité. Ce pays, qui est mort et qui mérite d'être pleuré, n'était pas la France. Mais l'inspiration que nous pouvons y trouver ne concerne pas le découpage territorial de l'Europe. Elle concerne notre destinée d'hommes.

    Hors d'Europe, il est des traditions millénaires qui nous offrent des richesses spirituelles inépuisables. Mais le contact avec ces richesses doit moins nous engager à essayer de les assimiler telles quelles, sinon pour ceux qui en ont particulièrement la vocation, que nous éveiller à la recherche de la source de spiritualité qui nous est propre; la vocation spirituelle de la Grèce antique est la vocation même de l'Europe, et c'est elle qui, au XIIe siècle, a produit des fleurs et des fruits sur ce coin de terre où nous nous trouvons.

    Chaque pays de l'antiquité pré-romaine a eu sa vocation, sa révélation orientée non pas exclusivement, mais principalement vers un aspect de la vérité surnaturelle. Pour Israël ce fut l'unité de Dieu, obsédante jusqu'à l'idée fixe. Nous ne pouvons plus savoir ce que ce fut pour la Mésopotamie. Pour la Perse, ce fut l'opposition et la lutte du bien et du mal. Pour l'Inde, l'identification, grâce à l'union mystique, de Dieu et de l'âme arrivée à l'état de perfection. Pour la Chine, l'opération propre de Dieu, la non action divine qui est plénitude de l'action, l'absence divine qui est plénitude de la présence. Pour l'Egypte, ce fut la charité du prochain, exprimée avec une pureté qui n'a jamais été dépassée; ce fut surtout la félicité immortelle des âmes sauvées après une vie juste, et le salut par l'assimilation à un Dieu qui avait vécu, avait souffert, avait péri de mort violente, était devenu dans l'autre monde le juge et le sauveur des âmes. La Grèce reçut le message de l'Egypte, et elle eut aussi sa révélation propre : ce fut la révélation de la misère humaine, de la transcendance de Dieu, de la distance infinie entre Dieu et l'homme.

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  • L'homme et le robot

    La chose est inquiétante car pendant que l'homme en est de plus réduit à vivre plutôt qu'à fonctionner et s'assimile par là à la machine, on met dans la bouche du robot des paroles où il prétend pouvoir s'élever jusqu'à l'homme et même le dépasser. La trajectoire de l'homme est descendante, celle du robot est ascendante. Elles vont inévitablement se croiser.

    Erewhon de Samuel Butler

    L'intérêt de ce livre tient au fait que l'auteur, Samuel Butler, était un lecteur attentif et critique de Charles Darwin, son compatriote et son contemporain. Là où, à première vue, nous est présentée une simple attitude vis-à-vis des machines, il faut voir souvent un argument pour ou contre tel ou tel aspect de la théorie darwinienne de l'évolution. Et en plus d'être un penseur et un amateur éclairé de biologie, Samuel Butler est un humoriste, ce qui complique encore les choses. On ne sait pas toujours à laquelle de ces trois identités il faut attribuer tel ou tel passage.

    Erewhon est un anagramme de Nowhere. Ce nulle part, Butler le situe par-delà les montagnes en Nouvelle-Zélande. Après avoir franchi une passe dangereuse, on débouche sur une terre habitée par des humains d'une extraordinaire beauté, mais aux mœurs étranges. Ils semblent avoir lu Darwin. Ils considèrent, par exemple, la maladie et la pauvreté comme un crime, ce qui dans la perspective darwinienne de la survivance du plus apte n'est pas dénué de sens. S'avouer malade dans ce pays, c'est plaider coupable. C'est la solution la plus efficace que les Erewhoniens ont trouvée pour échapper aux méfaits encore plus graves de la médicalisation. Ils ont pour les mêmes raisons interdit la pratique de la médecine et si quelques médecins continuent à oeuvrer, au noir, dirons-nous, ils le font à leurs risques et périls. On les a mis à l'écart pour éviter qu'ils n'aient trop de pouvoir sur les familles et les villes entières auprès desquelles ils interviendraient.

    C'est dans un court chapitre intitulé "Le livre des machines" que Butler expose ses idées sur le progrès technique, par la bouche de sages Erewhoniens. Le premier discours nous aide à comprendre pourquoi les Erewhoniens ont détruit toutes leurs machines. À son arrivée dans leur pays, le narrateur portait une montre, ce qui lui valut la prison. C'était un crime en effet que de rester attaché à un tel symbole d'un passé honni.

    Darwin avait adopté le modèle mécaniste. L'évolution résultait à ses yeux du fait que mécaniquement, au hasard des mutations, tel animal était doté d'un caractère nouveau présentant pour lui un avantage dans la lutte pour la survie. Telle était l'interprétation de Butler et de bon nombre de ses contemporains.

    Cet aspect de la doctrine darwinienne, Butler le rejetait toutefois énergiquement. Comment, se demandait-il, la conscience a-t-elle pu apparaître dans ces conditions? Bien des auteurs ayant cru depuis pouvoir répondre à cette question, elle n'est plus aujourd'hui a priori une objection majeure. Mais pour Butler, c'en était une. Et c'est ici qu'intervient l'humoriste. Pourquoi les Erewhoniens ont-ils détruit toutes leurs machines? Parce que, s'il est vrai que dans une première évolution purement mécanique la conscience a pu apparaître, elle devrait apparaître aussi à une étape donnée de l'évolution des machines.1 Et alors qu'adviendrait-il de l'humanité si, ayant pris conscience de leur nombre et de leur force, les machines, aujourd'hui esclaves des hommes, se révoltaient contre leurs maîtres? (Capek décrira cette révolte dans R.U.R).

     "Ou bien, précise le sage Erewhonien, un grand nombre d'actions considérées comme purement mécaniques et inconscientes contiennent plus d'éléments de conscience qu'on ne l'a admis jusqu'ici, ou bien l'être humain descend de choses qui n'ont aucune espèce de conscience. Dans ce cas, il n'y a aucune improbabilité a priori que des machines conscientes, et plus que conscientes, descendent des machines qui existent actuellement."

    Raisonnement impeccable. Aujourd'hui, on invoquerait l'argument de l'auto organisation pour expliquer l'évolution des machines vers la conscience. N'ayant pas cet argument à sa disposition, Butler est obligé de reconnaître que ce sont les hommes qui président à l'évolution des machines, ce qui donne lieu à l'exposition d'une seconde thèse, contredisant la première, où les machines apparaissent comme pouvant être utiles et sans danger aussi longtemps qu'elles sont bien conçues et bien utilisées.

    C'est l'envers de ce tableau toutefois qui est le plus intéressant : ces machines qui les servent si bien, les hommes ne les servent-ils pas encore mieux? Suit un passage éloquent sur le mal que les hommes se donnent pour fabriquer et faire fonctionner les locomotives et les bateaux à vapeur.

    On se demande ce que Butler aurait fait et dit s'il avait su que le charbon produisait des gaz à effet de serre et provoquait ainsi le réchauffement de la planète. Peut-être un nouveau sage erewhonien, émigré dans l'humanité se lèverait-il aujourd'hui parmi les hommes pour soutenir qu'il faudrait, logiquement, soit détruire les machines comme ses ancêtres l'ont fait chez eux, soit en fabriquer de nouvelles qui assumeraient toutes les tâches ingrates.

    C'est ce qu'on fait aujourd'hui dans l'ensemble de l'humanité, mais en faisant courir à tous de nouveaux risques dont celui d'abandonner tout le pouvoir aux ingénieurs programmeurs. Leur profession, l'informatique (dont la robotique et la domotique sont des branches), est en effet devenue une méta profession réduisant les autres, toutes sont sous son influence, réduites à un rôle secondaire. Un robot pourrait aujourd'hui pratiquer la médecine, depuis le diagnostic fondé sur des tests et des systèmes experts, jusqu'à la chirurgie où les robots jouent un rôle de plus en plus important. Presque toutes les professions se vident de leur substance dans le nouveau contexte.

    Il y a quelques décennies, quand un touriste entrait dans Rome en voiture, il pouvait facilement recruter un guide qui le pilotait en le précédant en motocyclette. Le GPS a fait tomber les métiers de ce genre en désuétude, ce qui a fait apparaître un nouveau danger pour l'humanité : la substitution de la machine à l'homme dans les tâches les plus humaines.

    C’est le retour en gloire de Samuel Butler. Il faut relire son chef d’œuvre, Erewhon. Cet ouvrage futuriste du XIXème siècle jette un éclairage singulier sur cette question de l'émergence de la conscience, qui vient de quitter la science-fiction pour faire une entrée remarquée sur la scène scientifique

    "C'est dans un court chapitre intitulé ‘’Le livre des machines’’ que Butler expose ses idées sur le progrès technique, par la bouche de sages Erewhoniens. Le premier discours nous aide à comprendre pourquoi les Erewhoniens ont détruit toutes leurs machines. À son arrivée dans leur pays, le narrateur portait une montre, ce qui lui valut la prison. C'était un crime en effet que de rester attaché à un tel symbole d'un passé honni.

    Darwin avait adopté le modèle mécaniste. L'évolution résultait à ses yeux du fait que mécaniquement, au hasard des mutations, tel animal était doté d'un caractère nouveau présentant pour lui un avantage dans la lutte pour la survie. Telle était l'interprétation de Butler et de bon nombre de ses contemporains.

    Cet aspect de la doctrine darwinienne, Butler le rejetait toutefois énergiquement. Comment, se demandait-il, la conscience a-t-elle pu apparaître dans ces conditions? Bien des auteurs ayant cru depuis pouvoir répondre à cette question, elle n'est plus aujourd'hui a priori une objection majeure pour une majorité d’auteurs. Mais pour Butler, c'en était une.(Il importe ici préciser que Butler était aussi un humoriste. Pourquoi les Erewhoniens ont-ils détruit toutes leurs machines? Parce que, s'il est vrai que dans une première évolution purement mécanique la conscience a pu apparaître, elle devrait apparaître aussi à une étape donnée de l'évolution des machines.1 Et alors qu'adviendrait-il de l'humanité si, ayant pris conscience de leur nombre et de leur force, les machines, aujourd'hui esclaves des hommes, se révoltaient contre leurs maîtres? (Capek décrira cette révolte dans R.U.R).

     "Ou bien, précise le sage Erewhonien, un grand nombre d'actions considérées comme purement mécaniques et inconscientes contiennent plus d'éléments de conscience qu'on ne l'a admis jusqu'ici, ou bien l'être humain descend de choses qui n'ont aucune espèce de conscience. Dans ce cas, il n'y a aucune improbabilité a priori que des machines conscientes, et plus que conscientes, descendent des machines qui existent actuellement."