73 ans après le 8 mai 1945, nous sommes tous juifs
Nous sommes tous juifs, parce que l’Holocauste hante notre histoire et nous impose un devoir de mémoire à l’égard de ses victimes. C’est pourquoi il faut éviter les analogies politiques douteuses qui servent les intérêts politiques du moment.
Par Drieu Godefridi.
En cette période de mémoire de l’assassinat de six millions de Juifs par les criminels nazis et leurs suppôts, il est utile de réfléchir à notre rapport comme Européens à cette abomination qui fait partie intégrante de notre histoire, pour en tirer quelques leçons actuelles.
Né trente ans après la Seconde guerre mondiale, j’ai toujours éprouvé une forte réticence à l’égard d’un certain discours consistant à nous présenter, en tant qu’Européens, comme co-responsables de ce crime contre l’humanité.
Cette idée de co-responsabilité repose sur des mythes qui sont précisément ceux qui fondent l’antisémitisme, savoir la responsabilité collective et la responsabilité collective à travers les âges.
Ce sont les mêmes billevesées que soutenaient les auteurs tâchant d’imputer aux Juifs contemporains la co-responsabilité de la mort du Christ et autre fait historique. Jean-Paul Sartre a démontré tout cela dans sa Question juive, même s’il n’en a pas tiré les conséquences qui s’imposaient.
Nous sommes responsables de nos actes
Nous ne sommes responsables que de nos actes, et non des crimes de nos ancêtres. Mais nous ne sommes pas non plus des créatures abstraites, jaillies directement du sein de la Terre. Nous sommes les héritiers d’une civilisation et d’une histoire, que l’on tient à juste titre pour l’une des plus fabuleuses de mémoire d’homme.
Or, c’est précisément dans le cœur de cette civilisation qu’est née l’abomination national-socialiste : ne nous voilà pas de retour au point initial, celui d’une sorte de co-responsabilité à l’égard de crimes qui ont précédé notre naissance ?
Je ne le crois pas. Car ce n’est pas la civilisation occidentale qui est l’auteur de ce crime, pas même la culture allemande. Ce sont des idées et des idéologies précises, qui furent développées et formulées bien avant que Hitler et ses sbires n’accèdent au pouvoir. (Cette généalogie intellectuelle est retracée dans La passion de l’égalité — essai sur la civilisation socialiste).
Les nazis étaient socialistes et nationalistes
Hitler et les théoriciens nationaux-socialistes étaient, idéologiquement parlant, des socialistes au sens strict — ils ne se sont pas revendiqués du socialisme par hasard ! — dont la plupart des catégories étaient d’ailleurs marxiennes ; leur spécificité étant de marier ce socialisme au nationalisme racial.
Ce n’est pas l’individu et la liberté qu’exaltaient les nationaux-socialistes allemands, c’est la communauté, la solidarité, l’égalité réelle : la solidarité raciale que proclamait Hitler dans un discours infect de 1920 (infect parce que porteur d’une haine virulente et si manifeste qu’elle annonçait nettement tout ce qui allait suivre).
Nous avons le devoir de nous souvenir de quelle source intellectuelle les crimes nazis sont nés. Les crimes politiques ne naissent pas de la malveillance d’un esprit : ils sont la résultante de la mise en pratique d’idées fausses.
Dans le cas de l’Holocauste, ces idées sont le national-socialisme qui, en exaltant le collectif de la race, réduit l’individu au statut d’utilité, de rouage, de variable disponible ; d’ennemi mortel quand il relève d’un autre groupe ou qu’il cultive sa propre individualité (le bourgeois, qu’Hitler exécrait autant que Marx, souvent dans les mêmes termes !). Loin d’être le fruit maudit de la civilisation occidentale, le national-socialisme en est la négation absolue, en valeurs comme en théorie.
Éviter les analogies douteuses
Nous avons le devoir de respecter la singularité de ces crimes, en nous préservant d’analogies douteuses. Quand, de nos jours, une certaine gauche qualifie de rafles des opérations de police visant à contrôler des personnes en séjour illégal sur le territoire européen, elle convoque de façon perfide les fantômes du passé.
Car s’il est vrai qu’historiquement le mot rafle existait avant les Nazis et Vichy, il ne l’est pas moins que les rafles de Juifs par les Nazis ont si cruellement stigmatisé notre histoire que toute utilisation du mot “rafle”, en français, mobilise nécessairement le spectre sordide de ce régime.
Cet amalgame fait injure à nos forces de l’ordre — assimilées du fait même à des SS, à ces Einsatzgruppen avides de meurtre qui écumaient les campagnes — il est une injure aux enfants, aux hommes et aux femmes gazés par les nazis, abattus d’une balle dans la nuque, torturés, néantisés dans leur humanité parce que Juifs. Le but, l’objet même, de la rafle nazie était le meurtre.
Les justes
De même, le fait de qualifier de “justes” les personnes qui hébergent des migrants en situation illégale. Les Justes furent reconnus comme tels par Israël pour avoir caché des Juifs pendant la guerre.
Ces justes — ils l’étaient, infiniment, et courageux au sens vrai de ce terme ! — quand on les arrêtait, étaient torturés, déportés vers des camps d’extermination, quand ils n’étaient pas exécutés sur place, souvent avec des membres de leur famille. Là encore, la comparaison n’est pas seulement fausse, elle est impardonnable.
Nous sommes tous Juifs, parce que l’Holocauste hante notre histoire et nous impose un devoir de mémoire à l’égard de ses victimes.
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