Dans l'histoire de la République, nombreux ont été les hommes politiques à avoir été visé par des affaires. Mais tous n'ont pas vu leurs carrières réduites à l'échec pourtant. Alors comment expliquer que certains arrivent à s'en sortir dans l'opinion, pendant que d'autres voient leurs popularité chuter?
Mémoire courte
Alors que la campagne présidentielle est largement perturbée par des "affaires", quel bilan politique peut-on faire, dans un cadre européen, sur les suites de telles séquences ?
Raul Magni-Berton : Par contre, l'impact négatif des problèmes judiciaires des hommes politiques sur l'opinion publique n'est pas partout de même ampleur, et cela dépend de leur fréquence ainsi que de la situation générale du pays en termes de corruption. Lorsque tous les politiciens sont perçus comme corrompus, une affaire qui sort nuit relativement peu au responsable. A l'inverse, cela peut être particulièrement terrible dans les pays où cela est rare. L'indice de perception de corruption développé par Transparency International place l'Allemagne en 12ème position, la France en 26ème et l'Italie à la 69ème place.
Ces places indiquent assez bien le niveau d'acceptation par l'opinion des actions moralement ou légalement répréhensible des leurs élus.
Dans certains pays il est commun de démissionner avant toute mise en examen. Le cas du ministre de la défense Allemand, Karl Guttenberg est assez emblématique: la découverte d'un plagiat dans sa thèse de doctorat l'avait poussé à la démission. Dans d'autres pays, la démission n'est pas d'usage, comme cela a été le cas en Italie. En France, la situation est intermédiaire. Mais il reste que, aux yeux des électeurs et des alliés, traîner des affaires n'est certainement pas un atout.
De manière générale, les problèmes avec la justice sont un handicap important dans la perspective d'une élection. Cela renforce les concurrents et les adversaires politiques, et affaiblit les alliés. Et bien sûr, réduit le soutien de l'opinion publique.
De l'Italie de l'opération mains propres qui a permis l'émergence de Forza-Italia de Silvio Berlusconi, ou la victoire de Lionel Jospin en 1997, malgré les nombreuses affaires "Mitterrand", les cas de corruption profitent-ils réellement aux "plus vertueux" ?
Ces histoires montrent que, même si les affaires judiciaires ne bénéficient pas à l'image des hommes politiques, des configurations particulières peuvent faire que des personnes mêlées à ces affaires puissent en tirer profit.
La situation n'est pas la même pour Jospin, qui, personnellement, n'a pas été poursuivi pour sa conduite. Les affaires autour de Mitterrand n'ont pas coulé le Parti Socialiste parce que beaucoup de socialistes n'y étaient pas impliqués. En revanche, quelques années après, on peut dire que Chirac a même "bénéficié" de ses affaires. Pourtant, en 2002, l'affaire des emplois fictifs à la mairie de Paris avait bien fait perdre des voix au président sortant. Cependant, une bonne partie de ces voix sont parties vers Le Pen, qui a pu ainsi disputer le deuxième tour. Face à ce dernier, Chirac a obtenu une victoire aussi confortable qu'inespérée. En effet, ses affaires ne lui offraient pas beaucoup d'espoir s'il avait eu à concourir contre un autre candidat.
L'affaire mains propres a avant tout détruit les partis qui ont été le plus impliqués dans la corruption généralisée. Le parti socialiste est passé de 14% à 2% en deux ans à peine. La démocratie chrétienne de 30% à 11%. Dans l'ensemble, les corrompus ont perdu. Il est vrai, cependant, que cela a entraîné le succès électoral de Berlusconi et des siens qui ont cumulé par la suite un grand nombre de procès et condamnations. Mais cette situation était particulière: il faut imaginer que la moitié des personnalités politiques les plus en vue sont condamnés à la prison ferme ou en état d'arrestation. Dans ces conditions d'exaspération, il arrive qu'un personnage comme Berlusconi ait du succès: au moins, lui, ne sera pas vu comme corrompu, parce qu'il appartient à la catégorie des corrupteurs
Quels sont les "déterminants" de telles pratiques ? Quels sont les contextes politiques et culturels qui peuvent avoir une influence sur ces pratiques ?
Bien sûr, on peut se demander pourquoi les mesures de transparence ont été mises en place en Suède et pas en France. Je ne sais pas.
On peut spéculer sur l'influence sur le long terme de l'héritage culturel.
Mais, fondamentalement, ces pratiques se banalisent lorsque la transparence est faible. En Suède, les dépenses des députés et leurs revenus sont publiques. On peut aisément imaginer que, si la même chose était faite en France, la marge de manœuvre pour tricher serait bien plus faible. Les pratiques immorales ou illégales se développent lorsqu'on a la possibilité de les cacher.
Quels sont les "véritables" remèdes à mettre en place, pour traiter les causes du mal plutôt que ses conséquences?
Le deuxième aspect est la concentration du pouvoir. Un pouvoir centralisé, exercé par une poignée de personnes, donne sans doute de fortes motivations au gens d'y arriver à n'importe quel prix. Si le système est fédéral, avec une bonne dose de contre-pouvoirs et, possiblement, des formes de démocratie directe, les enjeux et les tentations qui pèsent sur les politiciens deviennent moins forts. Cela les aide à rester honnêtes.
Les remèdes sont connus: il faut que le pouvoir ne soit ni opaque, ni concentré. Comme je le disais, la facilité à obtenir les informations sur les députés et les ministres, leurs votes, leur présence au parlement, leurs dépenses et leurs revenus influencent non seulement leurs comportements, mais également les types de personnes qui acceptent ces charges. Il serait difficile, par exemple, pour quelqu'un qui a des comptes non déclarés dans des paradis fiscaux d'accepter une fonction publique si celle-ci comportait d'afficher autant d'informations sur soi.
http://www.atlantico.fr/