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Savoir - Page 238

  • Convergence et singularité du monde vivant

    Le mot " vivant " est à la fois un concept, un principe, l’ensemble des êtres, une chose et un Monde.

    L’univers est fractal, c’est un ensemble répétitif de motifs, qui se combinent. Un chat, un chien, un humain, un arbre, un poulpe, toutes ces créatures sont construites sur des formes qui se répètent d’une échelle sur l’autre. Au plus bas, la cellule est une combinaison d’atomes, qui s’assemblent en organes, puis en organismes. Tout entier, du fait que ces édifices de configurations s’appuient sur des lois fondatrices au nombre limité, l’être le plus complexe peut se résumer à un code élémentaire.

    La répartition des étoiles dans la galaxie, la forme des montagnes, des flocons de neige, des nuages, la structure des reins ou même l’architecture des fibres osseuses : toutes ces choses sont basées sur ces règles mathématisables, dont une unique variable va déterminer l’aspect, pouvant faire toute la différence entre une brique de chair et un singe. La vie, plus que toute autre chose dans l’univers, personnifie cette réalité : elle est capable de concevoir des variations, structurées à ses fins [1].

    Le mot " vivant " est à la fois un concept, un principe, l’ensemble des êtres, une chose et un Monde. Bien qu’elle soit ultimement composée de choses élémentaires, les atomes, elle forme un concept bien à part. Elle est compétente non seulement à soutenir sa propre existence mais aussi à l’altérer, à la moduler afin de s’extraire d’une condition pour se déplacer vers une autre : la vie contrôle sa propre relativité face au Monde. Cela sans pour autant être un tout uni. Par-là, elle forme un Cosmos bien à part.

    Cette telle variété de définitions implique que l’on ne peut faire autrement, dans certains langages, que d’en converser comme d’une personne morale. Cependant que la vie n’est pas une créature à part, c’est un ensemble disparate maintenu en cohésion par une série de lois : les " natures " des créatures vivantes. S’il nous est encore impossible d’affirmer que tout être est vivant, il est en revanche tout à fait juste d’affirmer que tout ce qui vie est obligatoirement un être.

    Trop souvent, l’on voit dans les médias des tas d’experts se demander ce que le " génie humain " pourra encore inventer, pour se surpasser demain. Comme si l’humanité dominait l’univers de son immense gloire. Qui n’a pas lu ou entendu des gens expliquer à quel point nos machines et nos techniques surpassent " la nature " et plus spécifiquement le monde vivant ? Que notre pouvoir de destruction le dépasse, qu’il est à nos côtés comme une sorte d’enfant qu’il nous faudrait protéger ?

    Pourtant, s’il y a bien une chose certaine concernant la technologie et la science de notre espèce, c’est qu’elles sont particulièrement primitives, par rapport à la maîtrise dont fait preuve le reste de la vie, en tous domaines. Certes, nous avons appris à nous élever au-dessus des nuages, à nous déplacer sous les océans profonds. Mais là où le plus frustre moineau pourra voler plusieurs heures, sans besoin de réparer ni ses os ni ses tendons, nos avions nécessitent une lourde maintenance et sont alimentés de combustibles rares. Tandis que certaines baleines atteignent et demeurent aisément dans des profondeurs que les meilleurs sous-mariniers craignent. Une simple feuille, du plus insignifiant arbre au coin d’une rue, est un plus puissant panneau solaire que le plus haut sommet de notre industrie.

    Pour tout cela, la singularité " technologique " n’est pas pour demain : la vie affiche toujours plusieurs générations d’avance sur notre compréhension des lois de la physique. Elle est composée presque entièrement de créatures intelligentes et s’appuie sur une architecture si efficiente qu’un seul de ses représentants pourrait soutenir sa propre existence durant plusieurs millénaires [2]. Quant à sa puissance de calcul, sa maîtrise de la chaleur ou même son contrôle quant aux communications des informations : tout, chez-elle, nous est bien supérieur.

    La vie est en état permanent d’ubiquité, sur notre planète. Il n’y a pas un centimètre carré de terre, d’eau, de montagne ou de désert, qui ne soit pas recouvert de biomasse. Imaginez, un instant, l’organisme unicellulaire le plus simple. Visualisez-le en train de se mouvoir, de traiter les informations, de réagir et de prospérer dans les environnements les plus hostiles à l’Homme. Chaque atome y est positionné pour une raison précise, chaque partie de la cellule y a une fonction déterminée : c’est un organisme atomique. Malgré cette suprématie, qui reste aujourd’hui largement hors de portée de nos robots les plus avancés, encore incapables d’une telle précision, la cellule ne fait qu’un micron de large. Elle s’avère plus petite que la plus fine puce conçue par l’Homme, tout en étant capable de mouvement, de synthétiser les molécules nécessaires à son existence et même de se cloner par elle-même.

    Combien faudrait-il de processeurs pour égaler la capacité de calcul du seul matériel génétique ? Alors, si un simple hamster en compte des milliards, qu’est-ce que nous nous imaginons dépasser, avec notre technologie ? L’idée qu’une machine construite de main humaine pourrait supplanter totalement " l’intelligence " biologique est une illusion, qui prospère sur une idée reçue quant à la définition même de l’intelligence, ainsi que par notre mépris quant au monde vivant. Sa gloire brille plus fort que la nôtre.

    Notre capacité à concevoir des outils façonnés pour notre service, nous la tirons de notre nature, elle n’est rendue possible que parce que la façon dont nous sommes fait le permet. Nous ignorons toujours, à notre époque, pourquoi de toutes les espèces qui faisaient partie de notre branche, nous seuls avons survécus. Sans frères semblables, voici comment est née l’humanité, mais forte d’un pouvoir sans équivalents : elle est apparue avec un marteau dans la main et l’entendement nécessaire pour en tirer le plein profit.

    Bien plus qu’une espèce sociale, qu’elle n’est devenue que parce que certaines conditions furent réunies, l’humanité est faite d’artisans. C’est la force de ces derniers qui ont porté sa gloire : ils ont bâtis ses armes, élevés ses monuments, fabriqués ses livres, nourrit ses enfants. La maîtrise du feu jusqu’à la conception de la première roue, en passant par la construction de maisons et de murailles, tout, nous le devons à celui qui sait façonner de ses mains. S’il est bien une vérité que, dans notre arrogance, nous n’arrivons pas à assimiler justement, c’est que l’être humain primitif est un organisme optimal. Il est fort d’un esprit de conception et d’une capacité à se nourrir depuis toutes sources.

    Le fait que nous soyons aujourd’hui entourés de luxe et de confort nous fait oublier que nos ancêtres les plus lointains ne vivaient peut-être que quelques décennies, mais ils mirent à genoux l’ensemble des prédateurs de la planète, avant même d’avoir découvert la métallurgie. Si nous ne sommes pas la seule espèce à afficher un tel optimum de compétences, nos qualités ont cela de fascinant qu’elles n’ont pas été observées ailleurs, dans le monde vivant. Si d’autres créatures se servent d’outils, ils ne les fabriquent que rarement et restent cloisonné à un univers bâtit sur des normes infranchissables.

     Les Hommes d’esprit ont ce grand défaut qu’ils ont bien trop tendance à mépriser ce qui vient de la culture du sol ou de l’ouvrage des mains. Ils aiment à se hisser sur les dix millénaires d’Histoire que leur offre l’écriture. Par elle, ils se disent porteur de la civilisation, sans laquelle ils n’imaginent rien de possible. Cependant, ils oublient bien vite que du côté des gens de l’artisanat, le premier boulanger pétrissait déjà de la pâte il y a une trentaine de millénaires et le tailleur de pierre, lui, faisait déjà son ouvrage cent mille ans avant notre ère. Les métiers de l’esprit sont les derniers nés de la civilisation et non les premiers. Les philosophes, médecins, ingénieurs et autres artistes se hissent sur une légende bien jeune, face à celle des métiers les plus anciens.

    Avec cette jeunesse vient l’inexpérience, qui se ressent mais s’efface face aux bienfaits inestimables qu’un tel renouveau assure à ceux qui s’y essayent. L’intellectuel est plus efficace parce qu’il pense ce qu’il fait, mais n’en demeure pas moins hautement primitif, par rapport à l’optimal de sa propre activité [3].

    Chaque fois que l’on entend les disciples de tel ou tel penseur venir nous vanter sa grandeur, sa gloire éclatante, il nous convient de nous souvenir que l’on avait déjà construit le premier arc, des millénaires avant la fondation de Babylone et que sa renommée est, depuis longtemps, tombée dans l’oubli. Notre espèce se complet dans la mésestimation de ses talents, soit que nous nous imaginions au sommet soit que nous nous pensions au pied. Mais l’évolution est inévitable. Notre compréhension du vivant, du fonctionnement intime de la matière, des lois de la réalité, nous conduit sur un chemin qu’il n’est pas si difficile de prévoir.

    Une cellule, fondamentalement, fonctionne comme une sorte de " robot " : elle applique des instructions, qu’il nous est alors possible d’altérer, de commander, de modifier. Elle traite l’information puis réagit aux stimulations en conséquence. Si, aujourd’hui, notre faible compréhension de son fonctionnement nous permet à peine d’interagir avec elle, il n’est pas irréaliste d’imaginer que d’ici un siècle, notre science nous autorisera à concevoir des constructions artificielles entièrement basées sur des cellules vivantes. Un être humain, un arbre centenaire ou une baleine, sont eux-mêmes construits sur la base de milliards de cellules, prouvant qu’un assemblage immense de complexité peut émerger spontanément d’un constituant infiniment petit.

    Cette époque venue, notre société connaîtra un développement comme nous n’en avons jamais expérimenté, qui ira bien au-delà de tout ce que nous pourrions observer aujourd’hui. Il en sera fini de l’ère où nous devions construire à la chaine nos machines, depuis un assemblage de matière, dont une partie finie gâchée dans la procédure. Il deviendra, petit à petit, bien plus rentable de faire " naître " nos outils dans des matrices, imprimantes volumétriques d’organismes vivants. Par ce moyen, notre contrôle sur la chaleur, l’usage des ressources nécessaires à l’entretient ou la consommation d’énergie seraient autant de choses aisément maîtrisées, puisque optimales. La construction d’ordinateurs biologiques ou de véhicules de toute taille et de toute forme, structurés autour de cellules vivantes, en viendrait à devenir si aisément productible que la robotique ne serait plus nécessaire à l’industrie manufacturière.

    Nos villes basées sur une " graine " artificielle, s’étendraient alors en infrastructures mobiles et biodégradables, au fonctionnement semblable à un immense arbre synthétique. L’opération humaine, désormais inutile à sa conservation. Une structure pourrait s’élever aussi haut que l’autorise la physique, sur une surface aussi étendue qu’il est nécessaire. Les travaux les plus ordinaires en viendraient à être délégués à des drones vivants, sortes d’animaux artificiels sans volonté propre, à la pensée asservie à la préservation de l’écosystème formé.

    Le moindre objet du quotidien, la chose la plus insignifiante comme la plus exceptionnelle : tout se trouverait dès lors basé sur la structure du vivant. Libre à nous d’en disposer pour des millénaires ou même d’en changer tous les jours, s’il nous plaît de le faire, car ce qui n’est plus utilisé retourne automatiquement à la biomasse. Chaque arme, chaque machine, serait pour nous comme une extension de notre corps, une propriété de notre organisme auquel elle contribue tel un nouvel organe.

    L’idée que nos technologies puissent converger vers le vivant n’est pas si éloigné: c’est même une réalité inévitable. Nos machines sont primitives, nos véhicules sont très simples face à certaines créatures qui demandent pourtant d’être observées au microscope, alors que nos usines n’effectuent pas le millième de ce qu’une algue parvient à accomplir couramment. Rien n’est plus simple que le principe d’une société aux infrastructures biologiques. La vie est notre principale arme, dans notre galaxie : elle a résolu la plupart des problèmes majeurs qui se poseront à nous dans le futur. C’est pourquoi il ne nous est plus nécessaire de tous les démêler à nouveau, ni même de reconstruire ce qui existe déjà.

    Nous pouvons l’utiliser, la modifier à notre service afin de nous permettre de nous étendre au-delà de l’atmosphère terrestre. Tout comme nous pouvons nous concentrer sur sa nécessité première: l’extension, en l’usant comme outil pour ce faire. Elle ne nous empêchera pas d’accomplir ce pourquoi elle est faite, pourvu que nous le fassions. Car ce que nous emporterons d’elle, nous l’amènerons là où elle le veut.

    Le jour où une "singularité" adviendra, elle ne sera pas technologique au sens où nous l’entendons habituellement, mais biologique: c’est lorsque l’humanité aura maîtrisé et contrôlé le vivant lui-même, à l’échelle atomique. Qu’il sera en mesure de faire fusionner sa propre conscience avec une grande partie de la biomasse terrestre, remodelée à ses besoins, équilibrée selon les nécessités d’une extension dans le cosmos. Nos machines ne seront plus, dès lors, de simples matériaux assemblés en mécanismes, mais des structures fractales de carbone, d’hydrogène, de fer, de bore… Elles seront faites d’organismes complexes, de cellules vivantes artificielles comme naturelles, combinées.

    La compréhension que nous avons du monde, notre capacité à l’utiliser pour nous élever et accéder à tous les pouvoirs, est un don précieux. Une faculté que la vie nous a donnée. Nous ne sommes pas et ne serons jamais des dieux mais, notre place dans l’univers est pourtant garantie, en tant que vecteur messager du vivant. Cependant, il convient de ne pas se leurrer sur la façon dont fonctionne le Cosmos. Si la vie le pouvait, elle convertirait l’ensemble de la masse terrestre en biomasse à son usage. Il n’y pas de respect, pas d’harmonie, pas d’équilibre pour ce qui se trouve en dehors du vivant: toute l’énergie disponible, toute la matière, est utilisée à son profit pour lui permettre de s’étendre. Elle grandit, se diversifie, s’adapte et s’insinue jusqu’à contrôler chaque lieu, chaque source de puissance.

    S’il se fait une concordance, elle n’est pas issue d’une volonté consciente, mais due au chaos intrinsèque d’un tel système : le vivant obéit aux mêmes règles que le reste du monde réel. Si nous imaginons que ne lui devons rien, que nous pouvons l’utiliser sans rien offrir en retour pour sa survie, ce serait oublier que ce qui ne s’étend pas finit par s’éteindre là où il se trouve. Si nous refusons de payer le prix, nous vivrons certes une vie d’oisiveté, mais nous nous éteindrons sans plus de peine. L’humanité disparaitra de la surface de la terre et la vie donnera naissance à une autre espèce qui, elle, fera ce qui est nécessaire pour la survie de l’écosphère.

    Notre volonté de subsister, coûte que coûte, est une assurance que le monde biologique a placé en nous, une part de sa propre nature gravé tel un commandement divin: notre perpétuelle quête d’extension, notre besoin de ressources, sont des moteurs que nous lui devons et qui lui servent en retour pour se renforcer.

    Les outils, dont elle nous a offert l’usage, a permis à notre conscience de s’exprimer sur la matière. Nous autorisant une chose impossible aux autres créatures ayant un haut niveau de conscience : la capacité d’enfreindre les règles, de contrôler l’environnement. Tout d’abord, nous apprîmes à tailler les étoffes, puis à entretenir les feux, à modeler les matériaux, à modifier les terrains. Aujourd’hui, nous contrôlons les champs magnétiques, la mécanique des fluides, les forces atomiques. Demain, nous maîtriserons la vie à l’échelle cellulaire. Puis un jour, très longtemps dans l’avenir, nous aurons permis à chaque étoile de devenir un organisme vivant.

    Mais pour sa gloire seule, car nous sommes son outil, nous faisons partie d’elle.

    1. Pour illustrer ces propos, prenons un logiciel de génération de fractales, tel qu’Apophysis et Chaotica, en 2D ou Mandelbuster, en 3D. Quelques minutes seulement à s’essayer aux variables suffisent à générer des flocons de neige, des chambres à bulle, des arbres, des montagnes, des nuages, et une infinité d’autres structures du Monde. Tout cela, en altérant un principe élémentaire ne représentant pas plus de quelques octets de données.

    2. Il est amusant de voir comme toutes les œuvres de science-fiction pointent la fragilité du biologique, sachant qu’aucune machine construite de main humaine n’a jamais dépassé deux siècles de durée de vie, là où il se fait des milliers d’espèces qui y parviennent.

    3. Tous les Russell, les Wittgenstein, les Einstein, sont semblables aux premiers tailleurs, boulangers et potiers: qui se souvient encore du nom de ces grands inventeurs, aujourd’hui ? Où sont donc les paragraphes dédiés dans nos livres à la vie de ceux qui ont, pourtant, transfiguré nos cités au-delà de ce que tous les rois à venir ne pourront jamais faire ? Perdus, oubliés, disparus ! Il n’y a plus un nom dont nous pourrions nous souvenir. La grandeur de l’humanité est décidément bien fragile, pour qu’il ne suffise que d’une centaine de millénaire pour en venir totalement à bout. Alors celle de la France, pensez donc…

    Par Emmanuel Brunet Bommert.

    https://www.contrepoints.org

  • Technologies persuasives:

    la bienveillance ne suffit pas

    Les technologies persuasives nous influencent à notre insu dans nos choix quotidiens. Conçues pour nous aider dans nos décisions, elles peuvent aussi empiéter sur nos libertés.

    Une interview rapide accordée à Atlantico vendredi dernier me donne l’occasion de revenir sur la question des technologies persuasives, dont on doit à Fogg d’avoir énoncé le premier l’expression. Mais c’est une formule sans doute inexacte.

    La persuasion est ce que les psycho-sociologues et les publicitaires étudient depuis bien longtemps, et pour lequel le modèle ELM de Petty et Cacioppo est central en faisant du changement d’attitude un processus à double route qu’aiguille une combinaison de motivations et de compétences. Ce sont d’ailleurs ces deux variables que l’on retrouve chez Fogg. L’inexact c’est que pour la publicité la persuasion passe par un changement d’opinion, et que dans le cas des technologies l’action s’opère directement au moment de la décision, dans ce fragment de seconde qui précède l’action, sans forcément demander de changements d’opinion.

    Voilà une différence majeure entre la communication dans l’univers des mass media et celle qui se déroule dans le monde digital entre des consommateurs appareillés et des machines. C’est une question d’échelle : l’une s’adresse à la relation générale qui réside entre ce que nous pensons et ce que nous faisons (cf. la théorie de l’action raisonnée), c’est-à-dire à notre capacité délibérative, l’autre s’adresse aux micro-décisions, à nos réflexes, et très certainement à nos automatismes mentaux. Cette notion de technologie persuasive est convaincante, mais elle mériterait d’être plus proprement dénommée " technologie prescriptive ".

    Examiner les dispositifs techniques et les construire en prenant en compte les biais cognitifs auxquels notre décision est soumise (et ces biais peuvent être nombreux comme l’indique cette liste de wikipedia) constituent la problématique clé de ce domaine de recherche et de conception. Il peut emprunter à la psychologie de la motivation, tout particulièrement à la question du contrôle (locus of control, perceived behavioral control, self-efficacy, level of construct…), à l’économie comportementale qui est en plein essor, tout autant qu’à la philosophie politique du nudge.

    Du côté des dispositifs il y a sans doute une typologie à établir car ceux-ci couvrent une grande variété de formes. Ils jouent sur l’effet d’influence sociale en se matérialisant sous la forme de notes et d’avis. Ils peuvent prendre un caractère prédictif comme dans le cas des moteurs de recommandation qui anticipent les désirs ou du moins les excitent. Ils vont se diffuser à grande échelle sous la forme de boucles de feed-back avec les objets connectés et leurs applications.

    Le problème politique et moral se pose simplement en rappelant la définition du nudge que Sunstein, Thaller et Baltz proposent : un élément de l’architecture du choix qui aide les gens à faire ce qu’ils veulent faire. L’architecte est celui qui conçoit l’environnement du choix : sa connaissance des comportements, des limites cognitives des individus et de leurs buts doit le guider dans la conception de ces dispositifs d’influence.

    Prenons l’exemple élémentaire de la sécurité routière. Pour réduire la vitesse moyenne et les accidents, outre l’option autoritaire des radars, on imagine désormais des dispositifs qui calculent le style de conduite et en informent le conducteur ; certains assureurs sont prêts à récompenser ceux qui adoptent et maintiennent une conduite plus souple et prudente. Le rôle de l’architecte est de concevoir un tel dispositif, de telle manière à ce qu’il produise effectivement – même partiellement – les changements de styles de conduite souhaités.

    Ces dispositifs peuvent varier selon différentes modalités : formulation des options par défaut (dans notre cas, un régulateur de vitesse), évitement des erreurs attendues, feed-back (un cadran de consommation d’essence instantané plus visible que le compteur de vitesse), mapping, structuration des décisions et des incitations (un bonus pour les assurés qui acceptent le système).

     

    Il va de soi que si le souci de faire le bien de l’usager (en réduisant le risque d’accident, la pollution et l’économie d’essence) est légitime, ces mêmes dispositifs peuvent être aussi conçus pour inciter à d’autres actions plus favorables à l’intérêt de l’architecte : l’assureur pourrait être tenté d’infléchir sur le choix de la route dans le but de nous amener sur des parcours moins accidentogènes (l’autoroute) quitte à ce que cela nous coûte plus cher. On imagine que cela pourrait se faire de façon furtive, en biaisant les indications de direction fournies par le GPS. Nous perdrions alors la liberté d’aller au plus court (notre intérêt).

    Bien sûr ces auteurs inscrivent le nudging dans la perspective d’un paternalisme bienveillant et libertarien dont nous pensons qu’elle mérite plus d’écho à la fois parce qu’elle permet, face à la crise démocratique, de réfléchir aux nouvelles justifications et aux nouveaux rôles de l’action publique, mais surtout parce qu’elle est essentielle pour penser les interférences du digital dans nos décisions qui, pour suivre Raphaël Suire par exemple, peuvent détruire l’espace de liberté qu’est ou que fut internet.

    Pour s’en tenir aux technologies persuasives, l’architecture du choix n’exige pas simplement le consentement des personnes vulnérables dont on veut prendre soin (à supposer qu’elles ne sont pas toujours en condition de faire les meilleurs choix pour elles-mêmes), mais aussi un moyen de contrôle sur ces dispositifs, au minimum la connaissance de leur existence et de leurs mécanismes, la transparence algorithmique.

    Mais ce n’est pas tout. Les technologies persuasives dans le monde digital ne sont pas uniquement développées pour aider des consommateurs limités cognitivement à faire de meilleurs choix, elles le sont aussi pour inciter à des comportements qui rendent plus attractives les collectivités qui habitent les plateformes. Quand facebook expérimente sur des centaines de milliers de sujets l’effet d’un algorithme de filtrage qui favorise un contenu positif, le problème n’est pas simplement celui d’une éthique de l’expérimentation qui interdit que les sujets de l’expérience n’en soient pas informés, mais celui de la finalité de la technique (le filtrage) qui ne correspond pas de manière évidente à l’intérêt propre des individus. La gouvernementalité de l’algorithmie à l’œuvre viole ici clairement la liberté en intervenant de manière arbitraire dans la décision.

    On comprendra qu’en parallèle de l’effort de recherche visant à développer des nudges et autres technologies prescriptives, dont l’utilité ne doit pas être mise en cause dans la mesure où la science a désormais établi que nous ne sommes pas toujours en condition de prendre des décisions informées et optimales, une réflexion politique, morale et juridique doit en accompagner le développement.

    Christophe Benavent free (Benavent C) / CC BY-NC-ND 3.0

    contrepoints.org

  • Télémédecine

    Surveiller les constantes vitales en filmant le visage

    Surveiller la température du visage pour suivre les constantes vitales. C’est ce que met au point une équipe américaine. L’outil serait efficace avec toutes les couleurs de peau.

    Une caméra pour remplacer les appareils de mesure de la tension, du niveau d’oxygène, du rythme cardiaque… simplement en observant le visage. Une équipe de l’université Rice, à Houston (Texas, Etats-Unis) met au point un dispositif qui s’oriente vers un suivi sans fil des patients. Ils décrivent dans Biomedical Optics Express le fonctionnement d’un nouvel algorithme.

    "Actuellement, les techniques de référence pour mesurer les constantes vitales s’appuient sur des capteurs de contact ", notent les chercheurs dans leur étude. Chez des patients fragiles, comme les bébés, ces capteurs – raccordés à des fils – peuvent entraîner des blessures. " L’histoire a commencé en 2013, lorsque nous avons visité l’hôpital pour enfants du Texas pour parler aux médecins et obtenir des idées, se souvient Mayank Kumar, étudiant à l’université Rice. Nous avons vu un nouveau-né dans l’unité de soins intensifs néonataux. De nombreux fils étaient attachés aux enfants".

    Applicable sur des peaux plus foncées

    Le système mis au point à l’université Rice, Distance PPG, s’appuie sur un système utilisant une caméra. Elle évalue des signes vitaux comme la respiration ou le rythme cardiaque grâce aux variations de température du visage. La technique n’est pas nouvelle, mais jusqu’à présent, elle ne pouvait être utilisée que dans des pièces lumineuses ou avec des peaux claires.

    Mayank Kumar, aidé de deux professeurs, a mis au point un algorithme qui nuance l’analyse des données. Il permet maintenant de réaliser le même suivi dans des environnements moins éclairés, ou sur des peaux plus sombres. " Notre découverte clé, c’est que la puissance des changements de carnation diffère selon les zones du visage ; nous avons donc développé un algorithme qui établit des moyennes, explique l’étudiant. Il améliore la précision des signes vitaux, en étendant rapidement la portée, la viabilité, l’étendue et l’utilité de cette surveillance des signes vitaux fondées sur la caméra. " Selon lui, le logiciel pourrait même être installé sur des téléphones portables, des tabttes ou des ordinateurs avec une même efficacité.

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  • Prospective facile!

    L’examen des innovations majeures permet de dessiner notre avenir collectif.

    Par Guy Sorman.

    Prévoir notre avenir collectif, sans même disposer d’une boule de cristal, est à notre portée. Il suffit de se référer à un indicateur qui ne relève pas de la magie, précis, disponible mais rarement consulté. Ce tableau du futur prochain est celui des brevets déposés chaque jour dans le monde: tout inventeur n’est pas nécessairement porteur d’avenir, mais sur le grand nombre, il n’est pas d’innovation qui ne soit protégée par un brevet. Que l’innovation soit le fondement du progrès fut compris en Grande-Bretagne au début du XVIIIe siècle: le Parlement britannique protégeait alors la propriété intellectuelle des inventeurs. Il revint ensuite à Thomas Jefferson d’inscrire dans la Constitution des États-Unis cette propriété intellectuelle, considérant que le brevet deviendrait la véritable richesse de sa nouvelle nation. À Jefferson, il revient aussi d’avoir limité la propriété intellectuelle dans le temps, afin que le brevet ne devienne pas un obstacle à la concurrence. Ces principes sont devenus universels, mais tous les brevets ne se valent pas. L’indicateur significatif est le tableau des brevets dits triadiques, déposés aux États-Unis, en Europe et au Japon, ce qui leur confère une validité quasi universelle.

    Quels pays inventent?

    De ce tableau, il ressort que le nombre de brevets croît de manière géométrique, puisque le nombre des chercheurs augmente et que le progrès est cumulatif: plus on cherche, plus on trouve. On trouve où on cherche, en premier lieu aux États-Unis, avec un tiers des brevets triadiques annuels. Sachant qu’une proportion significative de ces brevets deviendront les produits et services de l’avenir proche, la prééminence des États-Unis n’est pas en doute ni menacée.

    Immédiatement derrière les États-Unis, le Japon reste le second porteur d’innovations. On s’en est rendu compte lorsque la catastrophe de Fukushima (en 2011) avait paralysé l’industrie japonaise, interrompant par contrecoup des entreprises du monde entier, privées de pièces détachées que le Japon seul fournissait. L’Europe arrive en troisième position avec une contribution prépondérante de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de la France, du Danemark, de la Belgique et de la Suisse. Par habitant, le Japon et la Suisse sont les deux leaders mondiaux de l’innovation. L’Europe traverse donc une phase difficile, mais elle n’est pas marginalisée: avec les États-Unis et le Japon, voici la troïka qui mène le monde. Ce qui permet de comprendre pourquoi, même lorsque la croissance ralentit, la qualité de vie s’améliore grâce à l’innovation: de la santé au téléphone par exemple.

    Et les pays " émergents "? Ils n’émergent pas ou peu: le seul qui apparaît sur l’écran radar de l’innovation est la Corée du Sud. Taïwan aussi frémit. Derrière, rien: la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie ne déposent que des brevets à usage interne, dont l’objet est avant tout de bloquer la concurrence étrangère. La croissance de ces pseudo-émergents reste, pour l’instant, fondée sur l’imitation et la sous-traitance. La carte du monde de demain ressemble à la carte du monde d’aujourd’hui.

    Qu’invente-t-on?

    À suivre les brevets triadiques, on perçoit les novations majeures. On en soulignera cinq: la fabrication en 3D, la médecine à distance, l’internet des choses, l’alimentation de synthèse, l’éducation à distance.

    Les imprimantes en trois dimensions permettront, chez soi ou en usine, de fabriquer n’importe quel objet en n’importe quelle matière sur la base d’un programme informatique. Le coût de la main-d’œuvre deviendra marginal dans la fabrication industrielle, ce qui ramènera la production des pays à bas salaires vers les pays riches et consommateurs: le modèle chinois en sera affecté si la Chine ne passe pas de la reproduction à l’innovation.

    La médecine à distance permettra de s’auto-diagnostiquer en continu: les données seront transmises en temps réel aux médecins, à fin de vérification et de thérapeutique. La visite médicale deviendra un ultime recours pour les patients non équipés et les cas désespérés.

    L’Internet des choses nous permettra de tout commander à distance, de la conduite de notre voiture au chauffage de notre domicile.

    L’enseignement à distance a commencé, au départ des universités américaines (Massive Online Courses) qui dispensent leurs meilleurs enseignements sur le web, tout en vérifiant les connaissances acquises. Le cursus universitaire de l’avenir exigera sans doute quelques années à distance et une année finale sur le campus (c’est déjà le modèle de l’Université de l’Arizona), offrant au grand nombre un enseignement de qualité aujourd’hui réservé aux élites.

    L’alimentation de synthèse? Les protéines de synthèse permettront d’accompagner la croissance démographique, alors même que les terres arables commencent à manquer et que les effets bénéfiques des OGM (organismes génétiquement modifiés) s’épuisent.

    Dans cette esquisse d’un futur plus que probable, les énergies de substitution n’apparaissent pas: les ressources de charbon, pétrole et gaz devenant inépuisables – grâce à la fracturation des roches et aux gains de productivité – l’incitation à changer de source d’énergie devient nulle. Pour ceux qui s’inquiètent du réchauffement climatique, la capture et la cristallisation des résidus devraient rassurer.

    Cet avenir suppose que l’économie de marché perdure, car une invention sans un entrepreneur qui la transforme en produits accessibles au grand nombre reste stérile. Mais on ne peut pas breveter l’économie de marché, ni la démocratie qui favorise l’esprit inventif: ce qui est brevetable est certain, mais ce qui ne l’est pas est incertain, voire improbable.

    Contrepoints.org

  • Vous habitez près d'un champ d'éoliennes? Bon courage!

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  • Australie : découverte du plus grand cratère d’impact au monde

     

    Avec ces 400 kilomètres de diamètre, le cratère découvert en Australie est le plus grand dû à un impact d’un astéroïde.

    C’est par hasard, en faisant des recherches géothermiques, que des scientifiques ont découvert un gigantesque cratère d’impact sous la surface de l’Australie. Il a une taille de 400 kilomètres de diamètre et aurait été créé par un astéroïde qui aurait percuté la Terre il y a plus de 300 millions d’années.

    Alors que l’on sait que notre planète a déjà été percutée par des astéroïdes, cette découverte est majeure vu qu’elle démontre que l’histoire de la Terre a été plus mouvementée que prévu, bien avant l’apparition de l’homme.

    C’est en Australie, dans le centre du pays, que cette découverte record a été faite. D’après les estimations, le cratère mesurerait 400 kilomètres et aurait, avec le temps, été enterré sous la surface, devenant invisible. C’est en réalisant des forages à deux kilomètres de profondeur, dans le Warburton Basin, qu’il a été mis en évidence lorsque les scientifiques sont tombés sur des morceaux de roche ayant visiblement été changés en verre, ce qui suggère des conditions extrêmes de température et de pression pour permettre cette transformation, des conditions que l’impact d’un énorme astéroïde aurait pu générer.

    Selon les chercheurs, il s’agirait en fait non pas d’un impact, mais de deux. Il y aurait deux cratères reliés, ce qui suggère que l’astéroïde s’est scindé en deux avant de frapper la surface de la Terre. "Les deux astéroïdes devaient faire au moins 10 kilomètres de large“, a expliqué Andrew Glikson, scientifique de l’Australian National University qui a dirigé la recherche.

    Il est encore difficile d’avoir une idée précise de l’impact et de l’époque exacte de ces impacts. Les chercheurs estiment qu’il a eu lieu il y a au moins 300 millions d’années et qu’il n’aurait pas été sans conséquence pour la planète : " Il a dû provoquer la disparition de nombreuses formes de vie présente sur la planète à cette époque ", ajoute Andrew Glikson.

    L’équipe qui publie son étude dans la revue Tectonophysics précise n’avoir pas été en mesure d’établir un lien entre cet impact et une extinction de masse survenue sur Terre., comme cela a été le cas pour la météorite tombée au Mexique qui a conduit à la disparition des dinosaures. Il s’agit encore d’un mystère dans le cas présent : " C’est un mystère, nous ne pouvons pas trouver d’extinction qui correspond à ces collisions. Je soupçonne que l’impact pourrait être encore plus vieux que 300 millions d’années ", a souligné Andrew Glikson.

    En fait, cette découverte pourrait aussi conduire à de nouvelles théories sur la manière dont la Terre a évolué au cours des derniers millions d’années. " Des impacts aussi conséquents que ceux-là pourraient avoir eu un rôle bien plus significatif dans l’évolution de la Terre que nous ne pensions auparavant".

    Il a à préciser que le plus grand cratère d’impact actuellement connu se trouve en Afrique du Sud. Connu sous le nom de Vredefort, il mesure environ 300 kilomètres de diamètre et remonte à environ 2,02 milliards d’années.